Chamane et Drala

On peut qualifier de chamanes des individus capables d’accéder à volonté à des états modifiés de conscience, et de répondre à certains besoins de leur communauté en jouant un rôle de médiateurs entre le sacré et le profane.

Mircéa Eliade définissait classiquement les chamanes comme maîtres des techniques archaïques de l’extase.

Le chamanisme est-il une religion ? Le terme de religion semble impliquer un corpus constitué d’écritures sacrées et une hiérarchie sacerdotale dont le chamanisme est dépourvu. Mais si nous considérons son attitude métaphysique et sa croyance en la survie de l’âme, le chamanisme est une religion. C’est même le prototype, le soubassement, de toute religion établie. Les chamanes peuvent concevoir des images, pas nécessairement matérielles, des déités et des esprits, qu’ils animent par le rituel, et en donner une représentation symbolique par la voix et le geste.

L’environnement des chamanes du troisième millénaire différera considérablement de celui des chamanes préhistoriques – le rapport avec la nature devenant lui-même l’objet d’une quête, le geste d’un retournement originaire. Les habitants des mégalopoles expriment culturellement des besoins différents de leurs ancêtres préhistoriques. Pourtant, l’individu peut être aussi perdu, aliéné et isolé dans la jungle urbaine que le chasseur ou le collecteur dans la steppe ou la forêt d’origine.

Précisons ceci pour conclure : les enseignements de Chögyam Trungpa sur la tradition sacrée de Shambhala, originaire d’Asie Centrale et du Tibet, porteurs d’une résonance chamanique extrêmement vive, sont clairs : « Lorsque nous captons dans une perception unique la puissance et la profondeur de l’immensité, nous découvrons et invoquons la magie. Par “magie”, nous n’entendons pas ici un pouvoir anormal sur le monde phénoménal, mais au contraire la découverte de la sagesse innée et primordiale du monde tel qu’il est, la sagesse du miroir cosmique. En tibétain, cette qualité magique de l’existence, cette sagesse naturelle, s’appelle “drala”. Dra signifie “ennemi” et la signifie “au-dessus”. Drala est la sagesse et la puissance inconditionnelle du monde, par-delà tout dualisme ; drala se situe au-delà de tout ennemi ou conflit. […] Découvrir drala, c’est créer des liens avec le monde, de sorte que chaque perception devient unique. C’est voir avec le cœur, de sorte que ce qui est invisible à l’œil devient visible. On pourrait presque considérer drala comme une entité. »

Aussi ne parle-t-on pas seulement du principe de drala, mais de rencontrer les dralas. Les dralas sont dans les rochers, les arbres, les montagnes, dans un flocon de neige ou une motte de terre. Tout ce qui est, tout ce que nous rencontrons dans notre vie, ce sont les dralas de la réalité.

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