Dernier refuge, reportage sur les traces des réfugiés tibétains en Inde

 

Par Laetitia Cheyroux

 

A 600 km au Nord-Ouest de New-Delhi, Dharamsala-McLeod Ganj est la petite ville himalayenne où se sont installés le gouvernement tibétain en exil et le Dalaï Lama, avant d’être rejoints par de nombreux Tibétains. Le centre d’accueil des réfugiés ouvert en 1990 est pour eux l’ultime étape avant de commencer une nouvelle vie en Inde.

 

Un panneau l’annonce discrètement. En plein centre de McLeod Ganj, un vieux bâtiment fait office de centre d’accueil pour les réfugiés tibétains récemment arrivés en Inde. Des murs décrépis, des pièces sombres et sans chauffage, mais aussi des portraits du Dalaï Lama entourent ceux qui ont quitté récemment le Tibet. Chaque année, en moyenne 2500 à 3000 nouveaux réfugiés passent par le centre d’accueil de Dharamsala. En 2007, ils étaient moins nombreux. « Nous avons reçu un peu plus de 2300 personnes l’année dernière », explique M. Dorjee, le directeur du centre d’accueil. «  Les contrôles de la police chinoise se sont accrus, donc moins de Tibétains ont tenté leur chance ou plus d’entre eux ont été repérés. »

 

Rejoindre le Dalaï Lama

 

La majorité d’entre eux fuient leur pays en traversant la barrière himalayenne pendant l’hiver. Après des mois d’économie, ils paient leurs passeurs environ 4000 à 5000 yuans. Bien souvent, seul un membre de la famille peut partir. La priorité est donnée aux enfants dans l’espoir qu’ils reçoivent, une fois en Inde, une éducation respectant la culture tibétaine. Après des nuits de marche dans la neige, bravant le froid et évitant les crevasses, ils passent la frontière népalaise. « Quand ils atteignent Katmandou, ils sont exténués par leurs trois semaines de marche. Notre premier centre les prend en charge, leur procure des soins, en particulier pour leurs gelures et les aident à obtenir les papiers nécessaires pour venir en Inde. A partir de ce moment-là, ils n’ont plus à se soucier de rien », souligne M. Dorjee. Le gouvernement tibétain en exil, en coopération avec les autorités indiennes, a en effet mis en place un programme d’accueil des nouveaux réfugiés. Ils sont transportés dans le second centre d’accueil à Delhi, avant de prendre un autre car pour Dharamsala. Là, ils sont logés, nourris et habillés gratuitement, en attendant d’être reçus par le Dalaï Lama. Deux à trois semaines d’attente en moyenne, dont la plupart profitent pour se reposer et se préparer à leur nouvelle vie.

 

Aller de l’avant

 

Haut et fort, Penmayang et Pasang récitent en boucle l’alphabet anglais. Ces adolescentes font partie des soixante-huit pour cent de réfugiés de moins de trente ans qui transitent par le centre. Elles sont arrivées il y a peine quatre jours. Elles savent déjà se présenter et entamer une conversation en anglais grâce aux cours du centre, et à leur détermination. Allongées sur leur matelas, emmitouflées dans leurs couvertures, elles ont passé leurs journées à s’interroger mutuellement : « How are you ? I’m fine, and you ? ». Leur longue route pour rejoindre Dharamsala semble déjà appartenir au passé. Elles sont aujourd’hui impatientes de connaître leur nouvelle école. Pour l’instant, elles n’en connaissent que le nom : le Tibetan Children’s Village (TCV) de Suja. Un des quinze établissements scolaires tenus par le gouvernement tibétain, situé à environ trois heures de route de Dharamsala. Dans le centre d’accueil, Penmayang et Pasang ne sont pas les seules à se réjouir de leur avenir immédiat.

« Nous avons envie de profiter de notre liberté. »

 

Au fond d’un étroit couloir, dans une des chambres réservées aux anciens prisonniers politiques, Lobsang Padon et Tashi Phusok reprennent des forces. Ces moines, en civil, ont passé ensemble douze ans dans une prison de Lhassa. « Nous avions vingt-quatre ans lorsque nous avons manifesté devant l’ambassade chinoise. Avec trois autres moines, nous réclamions simplement plus de liberté. Nos amis ont été condamnés à quinze ans de prison pour avoir été les meneurs, nous un peu moins », rappelle Lobsang Padon. Son compagnon, dont l’œil gauche a été abîmé par les coups reçus pendant les premiers mois de sa détention, raconte, avec un sourire paradoxal, son séjour. « Au début, les Chinois nous battaient quotidiennement pour nous punir et nous faire dire que ce que nous avions fait été mal. Petit à petit, ils ont arrêté. Nous vivions dans une petite maison à part et ils nous apportaient à manger. Le soir, nous arrivions à lire discrètement des textes bouddhiques apportés par nos proches, et le temps passait. » Un an après leur sortie de prison, ils sont partis pour l’Inde et ne souhaitent pas retourner dans un monastère tout de suite. « En prison, nous ne pouvions pas faire grand chose. Dans un monastère, il y a aussi beaucoup de règles », précise Lobsang Padon. « Nous avons envie de profiter de notre liberté. » Une fois tous leurs examens médicaux terminés, ils iront donc dans un centre d’enseignements pendant cinq ans, et décideront alors de rejoindre, ou non, une communauté de moines en Inde.

 

Pour les réfugiés qui dépassent la trentaine ou qui n’appartiennent à aucun ordre religieux, la situation est plus complexe. « Ceux sont ceux qui nous posent le plus problème, surtout s’ils n’ont aucun proche déjà en Inde. Ils doivent trouver eux-mêmes leur logement et c’est dur pour eux de trouver un travail », s’inquiète le directeur du centre. « Nous leur donnons juste 3000 roupies pour qu’ils se lancent, plus quelques conseils pour les guider et monter leur propre affaire, mais c’est tout. » La plupart de ceux qui décident de rester dans la ville installent un étal de bijoux le long des rues de McLeod Ganj. Ils comptent alors sur les touristes séduits par l’artisanat tibétain pour survivre.

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