Tibet vue de chez-nous

Kalsang au Tibet

 

Rima Elkouri

 

À la veille des Jeux olympiques de Pékin, le Tibet, opprimé par la Chine, joue les trouble-fête. Rencontre avec Kalsang Dolma, militante québécoise d’origine tibétaine, qui, après avoir serré la pince du dalaï-lama dans le film Ce qu’il reste de nous, compte se rendre jusqu’à la frontière du Tibet pour manifester contre la répression chinoise.

 

À l’entrée du restaurant tibétain Shambala, rue Saint-Denis, le visage de l’hôtesse aux longs cheveux noirs nous est familier. C’est celui de Kalsang Dolma. Portée par le film Ce qu’il reste de nous, elle est devenue la Tibétaine la plus connue du Québec.

 

Kalsang Dolma était, on s’en souvient, l’héroïne de ce très beau film de François Prévost et Hugo Latulippe, présenté au festival de Cannes en 2004 et gagnant du Jutra du meilleur documentaire. Le film – malheureusement impossible à trouver en DVD – raconte l’aventure peu banale de cette Tibétaine née en exil qui va dans son pays pour la première fois, emportant avec elle, à ses risques et périls, un message du dalaï-lama qu’elle avait elle-même recueilli.

 

La plupart des clients du restaurant interpellent Kalsang comme s’ils la connaissaient depuis toujours. Ces jours-ci, l’agitation au Tibet ravive l’intérêt des gens. «Quand j’ai des pétitions ou que je dois annoncer une vigile, je le dis aux clients, raconte-t-elle. Ça fait boule de neige, ce qui est très bon pour le business de mon patron! Je lui dis parfois en blaguant qu’il faudrait qu’il me donne une cote!»

 

Depuis le 10 mars (jour de commémoration de la répression de 1959 où le dalaï-lama a dénoncé les violations des droits de la personne au Tibet), entre ses cours de massothérapie le jour et son travail au restaurant le soir, la jeune femme de 35 ans consacre tout son temps au militantisme. Il y a 10 jours, elle était à Ottawa, avec le comité Canada Tibet, pour manifester son appui aux Tibétains et dire au premier ministre Stephen Harper que son timide appel à la «retenue» des autorités chinoises ne suffisait pas. «Ce qu’on demande, c’est que la négociation entre le gouvernement chinois et le dalaï-lama se fasse pour de vrai. Qu’il y ait un dialogue et des résultats concrets avant les Jeux olympiques.»

 

En juin, quand elle aura terminé ses cours de massothérapie, Kalsang compte rejoindre un groupe de Tibétains en exil qui ont entrepris une marche de Dharamsala, en Inde, jusqu’à la frontière du Tibet. «Le but, c’est d’arriver à la frontière juste avant les Jeux olympiques.» Car les Jeux constituent bien sûr l’occasion d’attirer l’attention sur le sort des Tibétains.

 

Boycotter ou pas les J.O.? Kalsang n’est pas de ceux qui croient que le boycottage pur et dur soit la meilleure avenue. «Je ne pense pas juste à la cause tibétaine. Je pense aussi aux athlètes qui ont travaillé fort durant des années et des années!» Si elle n’est pas prête à exiger des athlètes un tel sacrifice, elle croit cependant qu’il leur est possible de profiter de leur tribune pour protester autrement. «Je leur dis: si jamais vous gagnez la médaille d’or et que la caméra est sur vous, exprimez-vous! Faites un geste, un signe, n’importe quoi!»

 

Boycotter la cérémonie d’ouverture lui semble aussi une bonne façon de faire pression sur Pékin. «Harper, ça ne changera rien dans sa vie s’il ne se présente pas à la cérémonie. Mais dans la vie de tous les jours des Tibétains, c’est beaucoup. Pour le gouvernement chinois, c’est beaucoup. Ça peut peser dans la balance.»

 

Même si elle vit au Québec depuis plus de 20 ans, Kalsang se dit avant tout Tibétaine. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Née en Inde, là où on trouve la plus importante communauté tibétaine en exil, elle a grandi dans le petit village de Hunsur, dans le sud du pays. Son père, couturier, y avait fondé une école de couture accueillant des jeunes, surtout des filles, n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école. Elle avait 12 ans quand sa famille a été parrainée par un ami de son père vivant à Longueuil. C’est ainsi qu’elle a quitté son village indien pour se retrouver en banlieue de Montréal. C’était le choc, dit-elle. Puis vint la crise d’adolescence. «Je ne voulais pas être Tibétaine, raconte-t-elle. N’importe quoi, mais pas ça! Je ne voulais rien savoir de mes parents.» Chaque dimanche, ses parents l’envoyaient malgré tout suivre des cours de danse, de religion ou de langue tibétaines. Elle s’est ainsi retrouvée sur les planches du festival de folklore de Drummondville. «On allait danser là et on se disait: Wow! Au moins il y a du monde qui apprécie ce qu’on fait!»

 

Peu à peu, Kalsang dit avoir renoué avec son identité. Elle est allée étudier la musique traditionnelle tibétaine à Dharamsala. «Plus je vieillis, plus je retourne vers mes racines. Je suis étonnée de moi-même. Je me sens Tibétaine. Mais en même temps, j’ai une façon de penser, de m’exprimer qui n’est pas vraiment tibétaine, surtout pour une fille. Chez nous, les filles ne parlent pas beaucoup. Elles se tiennent tranquilles. Et moi, c’est le contraire! J’ai du mal à me taire!»

 

Dans Ce qu’il reste de nous, Kalsang raconte qu’il y a une croyance au Tibet voulant que le pays a été perdu parce que les gens n’ont pas assez prié. «Moi qui ai grandi en Occident, je pense plutôt que l’on a perdu notre pays parce que nous n’avons fait que prier, justement, dit-elle. J’ai peur que l’histoire ne retienne de notre fragile résistance qu’une sorte de soumission.»

 

Est-ce à dire qu’elle rejoint les rangs de cette jeunesse tibétaine qui croit que la non-violence ne donne plus rien? Elle hésite. La non-violence est liée directement à la philosophie bouddhiste, commence-t-elle par expliquer. On ne tue pas la mouche qui entre dans la maison. On l’invite doucement à sortir…Cela dit, même si la non-violence reste au coeur de la culture tibétaine, même si les enseignements du dalaï-lama sont à la mode en théorie, en pratique, c’est autre chose, déplore-t-elle. «Je suis désolée de le dire, mais beaucoup de gens qui admirent le dalaï-lama et qui disent wow! n’y comprennent rien. Personne ne veut comprendre le langage de la non-violence quand c’est le temps. Les médias ne veulent pas couvrir ça parce que ça ne bouge pas assez. On dit wow! devant l’enseignement du dalaï-lama. Mais concrètement, on ne veut rien savoir. Alors les jeunes au Tibet sont en colère. Ils disent: on a essayé pendant 50 ans avec la non-violence et ça ne marche pas!»

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