Extraits de Siddharta de Hermann Hesse

herman-hesse-trees

Siddharta dit :  » Oui, j’ai eu des pensées, j’ai eu des « connaissances »,
de temps en temps. Parfois, pendant une heure, pendant un jour, j’ai
senti en moi les effets du Savoir comme on sent la vie dans son propre
cœur. C’étaient bien certainement des idées que j’avais , mais il
m’était difficile de les communiquer. Tiens, mon bon Govinda, voici une
des pensées que j’ai trouvées : la sagesse ne se communique pas. La
sagesse qu’un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie. »

– Tu veux rire ? demanda Govinda

– Pas du tout. Je te dis que j’ai trouvé. Le Savoir peut se communiquer,
mais pas la Sagesse.On peut la trouver, on peut en vivre, grâce à elle,
opérer des miracles, mais quant à la dire et à l’enseigner, non, cela
ne se peut pas.C’était ce dont je me doutais parfois quand j’étais jeune
homme et c’est ce qui m’a fait fuir les maîtres.

**********************************************************

A chaque pas qu’il faisait sur la route, Siddharta apprenait quelque
chose de nouveau, car le monde pour lui était transformé et son coeur
transporté d’enchantement. Il vit le soleil se lever au-dessus des
montagnes boisées et se coucher derrière les lointains palmiers de la
rive; il vit, la nuit, les étoiles, leur belle ordonnance dans le ciel
et le croissant de la lune, tel un bateau flottant dans l’azur. Il vit
des arbres, des astres, des animaux, des nuages, des arcs-en-ciel, des
rochers, des plantes, des fleurs, des ruisseaux et des rivières, les
scintillements de la rosée le matin sur les buissons, de hautes
montagnes d’un bleu pâle, au fond de l’horizon, des oiseaux qui
chantaient, des abeilles, des rizières argentées qui ondulaient sous le
souffle du vent. Toutes ces choses et mille autres encore, aux couleurs
les plus diverses, elles avaient toujours existé, les rivières avaient
toujours fait entendre leur bruissement et les abeilles leur
bourdonnement ; mais tout cela, Siddharta ne l’avait vu autrefois qu’à
travers un voile menteur et éphémère qu’il considérait avec défiance et
que sa raison devait écarter et détruire, puisque la réalité n’était
point là, mais au-delà des choses visibles.

Maintenant ses yeux désabusés s’arrêtaient en deçà de ces choses, ils les voyaient telles
qu’elles étaient…sans s’inquiéter de leur essence et de ce qu’elles
cachaient…Qu’il était beau le monde pour qui le contemplait ainsi,
naïvement simplement, sans autre pensée que d’en jouir !