Le roi, le guru et le sacré garnement

L'oeil

Il était une fois un roi. Il ne manquait de rien et pourtant il clamait partout son insatisfaction. Un jour il entend dire qu’une initiation et des directives spirituelles données par un guru sont nécessaires pour trouver le calme intérieur.

Le roi fait rechercher son guru familial. Il l’avait oublié depuis bien longtemps. Le guru en question, laissé sans ressources, menait une vie misérable. L’initiation que lui demandait le roi était une aubaine ! Il accourt au palais et dit au roi que sa paix intérieure est garantie. Le roi reçoit son initiation à l’heure propice et le guru reçoit un confortable salaire. Le roi récite consciencieusement son mantra pendant des mois. Mais de calme intérieur… aucun ! Un jour, excédé, il menace son guru :

« J’ai reçu l’initiation, j’ai suivi tes directives spirituelles et mon esprit ne connaît aucun répit. Si dans huit jours je ne suis pas en paix et si tu n’as rien d’autre à me proposer, ta famille et toi serez exécutés. »

A ces mots le pauvre guru est paniqué. La nourriture ne passe plus. Il ne trouve plus le sommeil et voit avec angoisse la mort s’approcher.

Le guru avait un fils. Un drôle de gaillard qui n’avait rien voulu apprendre et passait ses jours à rôder dans la forêt. Il n’apparaissait qu’aux heures des repas. Autrement nul ne savait ce qu’il faisait de son temps. Six jours ont passé. Le septième jour, dans la maison du guru, l’état d’esprit n’était pas à préparer un repas. Le guru et sa femme se rongeaient les ongles d’angoisse. A midi le fils arrive pour son repas. Rien n’est prêt. Il demande ce qui se passe. Son père lui raconte tout et que si le roi le lendemain ne recevait pas de meilleurs conseils, ils seraient tous décapités.

– S’il n’y a que ça, dit le fils, je m’en occupe. J’irai demain trouver le roi. Aujourd’hui on mange…

Le père reprend courage. La mère prépare à manger. Le lendemain le guru et son fils se présentent devant le roi.

– Alors, cher guru, ces sept derniers jours j’ai pratiqué scrupuleusement les exercices que tu m’as donné. Je suis de moins en moins calme. Je te préviens, si tu n’as rien de mieux à me proposer aujourd’hui, autant dire que ta tête ne va pas longtemps rester sur tes épaules !

– Mon fils va tout vous expliquer, se hâte de dire le père.

– Vraiment ? dit le roi.

– Majesté, je peux vous éclairer, confirme le fils, mais il faudra que vous fassiez tout ce que je vous demanderai. Si vous suivez ce que je vous dis, vous comprendrez pourquoi vous n’arrivez à rien et vous trouverez l’issue.

Le roi consent à tenter l’expérience.

– Suivez-moi, dit le fils. Il charge le roi et son père de deux rouleaux de corde. Tous trois s’enfoncent dans la forêt jusqu’à rencontrer trois arbres splendides. Le fils du guru demande au roi et à son père de s’adosser chacun à un arbre. Il les ligote puis grimpe dans le troisième arbre, saute de branche en branche et chante tout son saoul. Le roi fulmine. Ses liens lui scient les membres. Il ordonne au père de le détacher. Le guru s’exclame :

– Comment pourrais-je vous délivrer alors que je suis attaché ?

Le roi réalise d’un coup : « Mais oui… bien sûr ! Comment aurais-je pu rester paisible alors que j’étais si étroitement ligoté à ce monde ? Comment ai-je pu demander à un homme lui-même attaché de me libérer de mes liens ? »

Alors il dit au fils :

– Maintenant tu peux me délivrer. J’ai trouvé ce qui donne la paix.

Le fils du guru, ce sacré garnement, aussitôt le délivre. Le roi revint-il à ses affaires ? Erra-t-il en ascète ? De toute façon il n’était plus noué au monde. Pour lui maintenant tout ne pouvait que bien aller…

Sur le chemin de l’infini (vie en jeu) de Ma Anandamoyi

Une chanson de Leonard Cohen – Everybody Knows