La princesse Tcherkesse

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Un sultan avait une fille qui, lorsqu’elle riait, faisait paraître le soleil dans toute sa splendeur ; lorsqu’au contraire elle pleurait, il tonnait très fort et pleuvait abondamment.

Un jour, cette fille se mit à travailler au métier de tisserand. Il lui apparut un oiseau qui lui dit : « Que tu travailles ou que tu ne travailles pas, tu n’auras jamais pour mari qu’un mort. » La pauvre fille quitta aussitôt son métier et se mit à pleurer à chaudes larmes. Sa mère entra dans la chambre et, trouvant sa fille en pleurs, elle lui en demanda le motif. La jeune fille tout éplorée lui répéta ce que l’oiseau lui avait dit. Sa mère s’attrista un peu, mais ne crut pas y attacher trop d’importance. La fille se remit au métier, et aussitôt l’oiseau reparut et répéta sa phrase cruelle ; c’est alors que la malheureuse mère unit ses larmes à celles de sa fille. Tous ceux qui étaient dans le palais s’unirent également à la douleur de la mère et de la fille.

Il tonna et plut à verse pendant tout ce temps. Le sultan qui était  en promenade dans la ville s’inquiéta fort et comprit que sa fille pleurait. Il voulut en connaître la raison et s’adressa à son vizir pour lui demander conseil. Celui-ci proposa de rentrer. Ils rebroussèrent aussitôt chemin et se dirigèrent vers le palais où, en arrivant, ils trouvèrent tout le monde en larme et dans la plus profonde désolation. Il entra chez sa fille et la questionna. Elle, pour toute réponse, reprit son métier ; aussitôt l’oiseau apparut et répéta d’un air solennel la phrase qu’il avait déjà prononcée deux fois. Le père pleura à son tour et, pour ne plus rentre dans cette ville, il rassembla sa mère, sa femme, sa fille et son vizir, et prenant quelques robes de ces dames ainsi que leurs bijoux, ils partirent tous ensemble dans les montagnes.

Un jour, ils trouvèrent sur une montagne une immense porte de château. Le sultan, sa femme et le vizir essayèrent d’ouvrir la porte : ce fût en vain, ils n’y réussirent point. La fille du sultan essaya à son tour de pousser la porte qui céda aussitôt d’elle-même. La princesse y entra, la porte se referma derrière elle, sans que le sultan ni son vizir eussent le temps de pénétrer dans le château. Elle n’hésita pas à s’avancer. Elle trouva….

Elle trouva morts tous les êtres vivants ou plutôt tous ceux qui avaient eu vie : hommes, femmes, chevaux et toutes bêtes. Elle se trouva ensuite dans une belle pièce où se trouvait un mort roulé dans une riche couverture, tout près duquel un éventail, un livre et un chasse-mouches.

Elle jeta les yeux sur le livre et lut ce qui suit : « Le mort, qui est dans cette chambre, ressuscitera si quelqu’un l’évente avec cet éventail qui est près de lui et s’il lit, tout en chassant les mouches, dans ce livre pendant trois ans, trois heures et trois minutes.

La jeune princesse connaissant son triste sort se mit à l’œuvre aussitôt. Quand elle était fatiguée, elle se mettait à la fenêtre pour respirer un peu d’air et se donner quelque repos. Puis elle reprenait sa pieuse besogne.

Un jour qu’elle se trouvait à la fenêtre, elle vit passer une bohémienne avec sa fille, elle les héla et proposa à la mère de lui prendre sa fille contre un superbe collier qu’elle portait au cou. La bohémienne accepta et, à l’aide d’une corde que la princesse descendit de la fenêtre, la petite bohémienne se trouva dans le palais des morts.

La princesse dit alors : « Il y trois ans que je suis exactement les instructions de ce livre ; dans trois heures et trois minutes le mort ressuscitera ; mais, comme je suis fatiguée et que j’ai besoin de repos, je vais aller me coucher, et toi, tu me remplaceras auprès du cadavre. » Puis elle se retira après avoir donné les instructions nécessaires à la petite bohémienne qui s’exécuta avec bonne volonté.

Les trois heures et les trois minutes écoulées, le mort ressuscita. Il demanda à la bohémienne qui était la charmante personne qui se reposait là. Elle répondit que c’était une fille qu’elle s’était procurée comme aide, mais qui n’avait pas voulu l’aider du tout.

Le ressuscité alla visiter ses nombreux domestiques qui se réveillèrent tous de leur profond sommeil. Puis il fit enfermer dans une prison souterraine la princesse qui, d’après l’injuste accusation de la bohémienne, n’avait pas voulu l’aider. On ne donnait pour toute nourriture à l’infortunée fille du sultan que les restes de la domesticité, qui lui reprochait toujours de n’avoir pas aidé à réveiller le maître.

Le prince du château se maria avec la jeune bohémienne.

Quelques temps après il eut envie de faire un voyage et voulut rapporter à chacun un petit cadeau ; c’est pourquoi avant de partir il demanda à tous ces gens ce qu’ils désiraient. Il alla même demander à la fille du sultan ce qu’elle souhaitait. Elle répondit que son unique vœu était qu’il fût toujours en bonne santé. Il la pressa pour lui faire demander quelque chose, mais elle persista dans son refus.

Il lui dit alors : « Je sors et dans un instant je reviendrai ; si tu ne me demandes pas quelque chose, je saurai ce qu’il me restera à faire. »

Il sortit et revint au bout d’un instant. Elle lui demanda alors : la boîte de la patience, la boîte de la douleur et le sabre du sang. Elle ajouta que, s’il lui rapportait ces choses-là, son vaisseau marcherait bien, sinon son vaisseau s’immobiliserait.

Il consentit et partit en voyage. A son retour, il s’était tout procuré, mais il avait complètement oublié la commission de la pauvre prisonnière. Il ne s’en souvint que lorsqu’il aperçut qu’il n’y avait pas moyen de faire avancer le bateau. Il retourna alors à terre  et fit l’acquisition des boîtes et du sabre.

Arrivé chez lui, il distribua tous les présents et alla porter lui-même celui de la prisonnière. Il se cacha ensuite derrière la porte de la prison pour se rendre compte par lui-même de ce qu’elle voulait faire de ces objets. Il vit la fille du sultan qui plaça devant elle ces boîtes et leur dit : »O boîtes de patience et de douleur, donnez-moi la patience nécessaire pour supporter ma douleur ! » Puis elle raconta toute son histoire depuis l’apparition de l’oiseau jusqu’à ce moment-là. Quand elle eut fini, la boîte de la patience lui dit : « O ma princesse Tcherkesse, tu dis la vérité, ton père est un roi régnant et chacune de tes paroles vaut mille dinars (pièces d’or). »

La fille du sultan reprit : « O boîte de patience, donne-moi la patience ! ô sabre avide de sang, tranche-moi la tête ! » Le sabre se leva ; le prince, comprenant tout, se précipita et s’emparant du sabre, l’empêcha de tomber sur le chaste cou de la noble princesse.

Il s’empressa ensuite de mettre à la porte l’ignoble bohémienne et prit pour femme celle qui sut supporter ses peines sans plaintes ni murmures. Ils vécurent heureux et contents pour le reste de leur vie.

Conte populaire inédit de la vallée du Nil

Une chanson d’Idir interprétée avec  Karen Matheson – A vava inouva

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