Le sourire du Tao

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Le mot taoïsme (…) a toujours exercé sur moi la plus vive séduction, bien que, mis à part le grand poème qui est un peu leur Bible, je connaisse peu les taoïstes et leurs croyances, Mais du jour où mes yeux tombèrent sur le Tao-tö king, œuvre d’une grande beauté et d’une merveilleuse précision qui renferme une énigmatique description du grand moteur de l’univers et de son fonctionnement, je m’aperçus que c’était là ce en quoi je croyais – ou choisirais de croire si je découvrais un jour que croire m’était devenu nécessaire.

Mais, attention : que signifie pour moi le verbe « croire » ? Voilà un mot qui ne souffre point qu’on le traite ainsi à la légère, sans au moins essayer d’en saisir le sens exact. A mes yeux, chaque croyance, quelle qu’elle soit, requiert un certain degré de circonspection car elle se fige bien vite en dogme si, de provisoire, elle devient absolue. Par contre, le mot Tao évoque pour moi différentes attitudes (toute vérité étant relative), un état de disponibilité totale et de total abandon, une conscience totale, exhaustive et sans réserve de cet instant où la certitude pointe le nez, tel un poisson au bout de l’hameçon. C’est alors que l’esprit est en parfait accord avec la grande métaphore du monde – celle du Tao.

La réalité, alors souveraine, se libère de l’encombrant appareil conceptuel de la pensée consciente. C’est le point crucial où l’esprit se fond dans la création tout entière. Cette poésie, c’est le Tao.

*

Les taoïstes ne s’appuyaient sur aucun élément extérieur tel que temples, rituels, uniformes, etc. Rien ne les désignait donc à la persécution : « Les vrais taoïstes n’avaient aucun trait distinctif excepté, si l’on veut, un certain regard – le regard du Tao ! Le regard de l’âme, en quelque sorte ! On ne peut tout de même pas persécuter un simple regard ! » Ce disant, Chang me décocha un échantillon du regard taoïste et je saisis tout de suite le sens de ses paroles. C’était un petit regard, mais quel regard ! plein d’insolente espièglerie, d’ironie et de gaieté. Un sourire de complicité sardonique empreint de la conscience amusée et oblique du prix de l’ineffable. C’était comme le premier lien entre des êtres humains reconnaissant leur rôle dans le processus de vie universel.

Lawrence Durrell dans Le sourire du Tao

Une chanson de Xavier Rudd & Izintaba – Time to Smile

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