L’errant

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Un homme dit à un autre :  » A la marée haute, il y a longtemps, avec un bout de mon bâton j’écrivis un vers sur le sable ; et les gens s’arrêtent encore pour le lire et font attention à ce que rien ne l’efface. « 

Et l’autre homme dit :  » Et moi aussi j’écrivis un vers sur le sable, mais c’était à marée basse, et les vagues de l’immense mer l’ont effacée. Mais dis-moi qu’avais-tu écrit ? « 

 Et le premier homme répondit :  » J’avais écrit ceci :  » Je suis celui qui est « . » Mais toi, qu’avais-tu écrit ? « 

 Et l’autre homme répondit :  » J’avais écrit ceci : « Je ne suis qu’une goutte de ce grand océan.

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Un jour la Beauté et le Laid se rencontrèrent sur le rivage. Et ils se dirent : « Allons nous baigner dans la mer. » Alors ils se dévêtirent et nagèrent. Au bout d’un moment le Laid revint sur le rivage ; il s’habilla avec les vêtements de la Beauté et poursuivit son chemin. Et la Beauté sortit aussi de la mer, mais ne trouva pas ses habits ; parce qu’elle était trop timide pour rester nue, elle s’habilla avec les vêtements du Laid. Et la Beauté poursuivit son chemin. Et à compter de ce jour les hommes et les femmes prennent l’un pour l’autre.

 Cependant il en est qui ont aperçu le visage de la Beauté, et ils la reconnaissent malgré ses habits. Et il en est qui connaissent le visage du Laid, et ses vêtements ne le dissimulent pas à leurs yeux.

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Khalil Gibran dans L’errant

Une pièce musicale de The Doors – Riders On The Storm

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