L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche

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… notre gentilhomme se donnait avec un tel acharnement à ses lectures qu’il y passait ses nuits et ses jours, du soir jusqu’au matin et du matin jusqu’au soir. Il dormait si peu et lisait tellement que son cerveau se dessécha et qu’il finit par perdre la raison.

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Là-dessus ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent qu’il y a en cette plaine, et, dès que don Quichotte les vit, il dit à son écuyer :

« – La fortune conduit nos affaires mieux que nous n’eussions su désirer, car voilà, ami Sancho Pança, où se découvrent trente ou quelque peu plus de démesurés géants, avec lesquels je pense avoir combat et leur ôter la vie à tous, et de leurs dépouilles nous commencerons à nous enrichir : car c’est ici une bonne guerre, et c’est faire grand service à Dieu d’ôter une si mauvaise semence de dessus la face de la terre.

– Quels géants ? dit Sancho.

– Ceux que tu vois là, répondit son maître, aux longs bras, et d’aucuns les ont quelquefois de deux lieues.

– Regardez, monsieur, répondit Sancho, que ceux qui paraissent là ne sont pas des géants, mais des moulins à vent et ce qui semble des bras sont des ailes, lesquelles, tournées par le vent, font mouvoir la pierre du moulin.

– Il paraît bien, répondit don Quichotte, que tu n’es pas fort versé en ce qui est des aventures : ce sont des géants, et, si tu as peur, ôte-toi de là et te mets en oraison, tandis que je vais entrer avec eux en une furieuse et inégale bataille.

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… qui s’attache à un mauvais arbre reçoit mauvais ombre, et qui se met à l’abri sous la feuille se mouille deux fois, et qui se couche avec des chiens se lève avec des puces. Quelque petit que je sois, je tiens mon rang dans le monde ; chaque fourmi a sa colère ; chaque cheveu fait son ombre sur la terre, et chaque coq chante sur son fumier.

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– Apprends, Sancho, qu’un homme n’est pas plus qu’un autre homme, mais qu’il fait plus que lui. Toute ces tempêtes qui nous arrivent sont signes d’un temps bientôt plus serein, et que les choses vont tourner bien pour nous, car il n’est pas possible que le mal ni le bien ne soient durables. D’où il s’ensuit que le mal ayant beaucoup duré, le bien est maintenant proche. Aussi ne dois-tu pas t’affliger des disgrâces qui me touchent, car il ne t’en revient pas de part.

Miguel de Cervantes dans L’ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche

Une chanson de Jacques Brel – La Quête