Mon utopie

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« Réussir » est devenu l’obsession générale dans notre société, et cette réussite est mesurée par notre capacité à l’emporter dans des compétitions permanentes. Il est pourtant clair que la principale performance de chacun est sa capacité à participer à l’intelligence collective, à mettre en sourdine son « je » et à s’insérer dans le « nous », celui-ci étant plus riche que la somme des « je » dans laquelle l’attitude compétitive enferme chacun ; le drame de l’école est d’être contaminée par une attitude de lutte permanente, qui est à l’opposé de sa finalité.

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Une utopie qui se borne à décrire un rêve irréalisable est plus néfaste qu’utile ; le fossé entre le réel vécu dans l’instant et le souhaitable imaginé pour plus tard apparaît définitivement infranchissable. Tous les abandons sont alors justifiés, tous les projets se heurtent à la lâcheté des « À quoi bon ? ».

Elle peut être au contraire un facteur de renouveau, être à l’origine d’une dynamique, si elle est reçue en suscitant un « Pourquoi pas ? ».

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Le trajet d’une vie est l’entrelacement de multiples parcours. Plusieurs personnages évoluent en se heurtant, se provoquant, se complétant; ils coopèrent pour construire une personne indéfinissable qui manifeste son existence chaque fois qu’elle ose dire je. Au cours de cette construction, chacun de ces personnages trace son chemin, mais ils sont constamment dépendants les uns des autres, ce qui permet à la personne qu’ils deviennent d’être à la fois multiple et unitaire, semblable à ces particules quantiques, qui, sans se dédoubler, traversent simultanément les deux fentes d’un écran.

Albert Jacquard dans Mon utopie

Une pièce musicale de Ludovico Einaudi – Life

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