Le Rêve du papillon

Le temps

Par une bel après-midi noyé de soleil, un dignitaire s’était aventuré sur les sentiers escarpés de la vallée profonde où Tchouang-tseu avait élu domicile. Le mandarin, brillant lettré qui avait passé tous les degrés des examens et obtenu un poste de conseiller auprès du roi de Wou, voulait poser au vieux maître une question sur le Tao, dans l’espoir de respirer l’effluve de l’Indicible.

La chaumière était déserte, la porte grande ouverte. Des traces de sandales, toutes fraîches, menaient à une prairie pentue. Le dignitaire les suivit et il découvrit Tchouang-tseu endormi à l’ombre d’un vieil arbre noueux, la tête sur un coussin de fleurs des champs. Le lettré toussota et les sage ouvrit les yeux.

– Ô Maître, pardonnez-moi de troubler votre repos. Je viens de fort loin vous interroger sur le Tao.

– Je ne sais pas si je pourrai répondre répondit Tchouang-tseu en  se frottant les yeux.

– Vénérable, votre modestie vous honore.

– Cela n’a rien à voir, non. A vrai dire, je ne sais plus rien. Je ne sais même plus qui je suis!

– Comment est-ce possible? demanda le mandarin interloqué.

– Oh c’est très simple, reprit le vieux taoïste, l’air songeur. Figurez-vous que tout à l’heure, en dormant, j’ai fait un rêve étrange. J’étais un papillon voltigeant, ivre de lumière et du parfum des fleurs. Et maintenant, je ne sais plus si je suis Tchouang-tseu ayant rêvé qu’il était un papillon ou un papillon qui rêve qu’il était Tchouang-tseu!

E t le conseiller du Roi de Wou, bouche bée s’inclina profondément et retourna sur ses pas, ruminant cette parole énigmatique dans l’espoir d’en tirer le suc.

Pascal Fauliot dans Contes des sages taoïstes

Une pièce musicale d’Eric Aron – Mandala

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