Jung et la question du sacré

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Au siècle des Lumières (Aufklarung) se forma, sur l’essence des religions, une opinion qui mérite d’être mentionnée à cause de sa large propagation, bien qu’elle soit une méprise typique de l’époque. Selon cette opinion, les religions seraient des espèces de systèmes philosophiques qui, comme ces derniers, seraient sortis de a tête des gens. Un homme quelconque aurait un jour imaginé un dieu et des dogmes et, grâce à cette fantaisie « réalisatrice de désirs », il aurait conduit l’humanité par le bout du nez.

A cette opinion s’oppose la réalité psychologique de la difficulté que l’on a de saisir intellectuellement les symboles religieux. Ils ne proviennent nullement de la raison, mais d’ailleurs; du cœur peut-être, mais en tout cas d’une couche psychique profonde, qui ressemble peu à la conscience qui, elle, n’est que surface. Aussi les symboles religieux ont-ils toujours un caractère très marqué de « révélation », autrement dit, ce sont en général des produits spontanés de l’activité inconsciente de l’âme. Ils sont tout ce que l’on voudra, sauf inventés par la pensée; révélations naturelles de l’âme humaine, ils ont plutôt grandi peu à peu au cours des millénaires, comme des plantes.

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Figures de l’autre en soi, l’anima et l’animus, lorsqu’ils passent d’un stade d’archaisme indifférencié à une véritable mise en valeur de leurs potentialités, désignent le non-moi à l’intérieur d’une complétude psychique à construire. Ils désignent ce qui manque au moi pour se vivre comme partie consciente d’une totalité englobante, qui est le Soi. D’où le sens de l’affirmation, obscure au premier abord: « le symbole du sexe opposé recouvre véritablement le Soi », et l’élaboration d’une méthode d’ascèse spirituelle où la sublimation de l’autre sexe conduit à cette découverte du Soi: « Il faut élever le dialogue avec l’anima à la hauteur d’une véritable technique. » On peut alors penser que le dialogue avec le Christ intérieur qu’ont vécu des mystiques chrétiennes (certaines béguines, des religieuses d’Helfta, Thérèse d’Avila ou Marie Alacoque), et qui semble les avoir conduites vers le centre de leur âme, est une actualisation traditionnelle de cet archétype de l’animus.

Ysé Tardan-Masquelier dans Jung et la question du sacré

Une pièce musicale de Karliene – Mother Earth