Je n’ai jamais su séparer la présence de l’absence, jamais pu distinguer mes gains de mes pertes.
Est-ce un défaut de vision ou une trop vive lucidité, je l’ignore, mais l’amour à son point de naissance a toujours eu pour moi le même chant que l’amour en son deuil.
Le sentiment que j’ai de la vie est un sentiment musical – la musique, comme chacun sait, accomplissant ce prodige de disparaître dans le même temps où elle apparaît.
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Ce qu’on appelle le « charme » d’une personne, c’est la liberté dont elle use vis-à-vis d’elle-même, quelque chose qui, dans sa vie, est plus libre que sa vie.
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Finalement je n’aime pas la sagesse. Elle imite trop la mort. Je préfère la folie – pas celle que l’on subit, mais celle avec laquelle on danse.
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Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? Rien, j’apprends. Tu apprends quoi ? Rien, j’apprends.
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Il y a des instants où j’aime chacun de ceux qui ont part à ma vie, même ceux dont les désirs me sont étrangers ou hostiles. L’envie me vient alors de prendre le téléphone, d’appeler les uns les autres, sans exception, et de leur dire : » Je t’aime dans ton entièreté, dans tout ce qui en toi ne me ressemble pas, je t’aime tel que tu vas, vivant, vivante. » Et si je ne le fais pas, c’est uniquement par crainte de finir à l’hôpital psychiatrique, totalement fou et totalement radieux.
Christian Bobin dans Autoportrait au radiateur
Une pièce musicale de Erik Satie – Caresse