La poésie est là, parmi nous. Je vais vous donner quelques exemples.
Comment dire le temps qui passe. Le poète le dit mieux que nous ne pourrons jamais le dire : « Le moment où je parle est déjà loin de moi. »
N’est-ce pas extraordinaire de précision et de finesse ?
Autre exemple, vous dîtes : « Le fruit est bon. »
Le poète, lui, dira :
« Comme le fruit se fond en jouissance
Comme, en délice, il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt. »
Comment dire mieux ? Comment mieux exprimer le plaisir de goûter ? Ces trois vers me donnent ma bouche plus encore que l’eau à la bouche !
L’amour : « Volage adorateur de mille objets divers. »
Une belle femme qui passe : « Le charme dominant qui marche à votre suite. »
Ainsi marche le charme. Ainsi le poète met-il en musique la traînée magique laissée par la beauté. Il lui donne corps.
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Le langage nous fait nous-mêmes individus, hommes. La poésie fait appel à cette fonction du langage. Cette fonction de nous fabriquer nous-mêmes. De faire notre corps, notre esprit, notre conscience, notre humanité, notre nature. Il faut prendre le langage à l’état naissant puisqu’il nous fait naître.
Michel Serres dans Du bonheur, aujourd’hui
Une pièce musicale de Maurice Ravel et la performance de Sylvie Guillem – Bolero