Né d’aucune femme

Charles_Henry_Niehaus_-_sculpteur_agenouillé

Les retours ne sont jamais sereins, toujours nourris des causes du départ.

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J’ai appris que seules les questions importent, que les réponses ne sont que des certitudes mises à mal par le temps qui passe, que les questions sont du ressort de l’âme, et les réponses du ressort de la chair périssable.

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Nous n’avons rien à espérer du passé. Ce sont les hommes seuls qui ont l’audace d’inventer le temps, d’en faire des cloisons pour leur vie. Pas un seul ne peut vivre assez longtemps pour se croire exister, pas un seul n’est en mesure de saisir la vie quand elle le traverse.

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C’est tout le problème des bonnes gens, ils ne savent pas quoi faire du malheur des autres. S’ils pouvaient en prendre un bout en douce, ils le feraient, mais ça ne fonctionne pas comme ça, personne ne peut attraper le malheur de quelqu’un, même pas un bout, juste imaginer le mal à sa propre mesure, c’est tout.

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Les mots, j’ai appris à les aimer tous, les simples et les compliqués que je lisais dans le journal du maître, ceux que je ne comprends pas toujours et que j’aime quand même, juste parce qu’ils sonnent bien. La musique qui en sort souvent est capable de m’emmener ailleurs, de me faire voyager en faisant taire ce qu’ils ont dans le ventre, pour faire place à quelque chose de supérieur qui est du rêve. Je les appelle des mots magiciens : utopie, radieux, jovial, maladrerie, miscellanées, mitre, méridien, pyracantha, mausolée, billevesée, iota, ire, parangon, godelureau, mauresque, jurisprudence, confiteor, et tellement d’autres que j’ai retenu sans effort, pourtant sans connaître leur sens. Ils me semblent plus facile à porter que ceux qui disent. Ils sont de la nourriture pour ce qui s’envolera de mon corps quand je serai morte, ma musique à moi. C’est peut-être ce qu’on appelle une âme.

Franck Bouysse dans Né d’aucune femme

Une pièce musicale de DEYOSAN – Liwal