Un sage est sans idée

ImAGE Paix verte

La logique de la sagesse, et ce qui la constitue en anti-philosophie, est de se refuser à faire le jeu du principe de contradiction – non de le contester, mais de le mettre d’entrée hors-jeu ; elle se refuse à tomber dans le piège : puisque, étant d’un côté, on ne peut en même temps être de l’autre, pour ne se priver d’aucun des deux, la sagesse ne se situera d’aucun côté.

Ou, dit en sens inverse, si la sagesse ne se veut d’aucun parti, c’est qu’elle sait que, qui prend parti, de ce seul fait, est partial : il ne voit plus l’autre aspect des choses, se trouve cantonné dans un point de vue (le sien), il a perdu la globalité de la « voie ».

Dans cette alternative du vrai ou du faux, au lieu d’y voir une discrimination éclairante, la sagesse voit une perte.

Et c’est cette même perte qui ferait l’histoire – sans fin – de la philosophie : ce qu’elle laisserait tomber d’un certain côté (en l’excluant comme faux), la philosophie n’aurait de cesse ensuite de vouloir le récupérer – au sein de la même philosophie comme d’un philosophe au suivant – mais autrement que de ce côté « faux ».

Et c’est même ce qui ferait l’essence de la philosophie, comme désir et aspiration à la sagesse (rêvée comme globalité) ; elle serait une pensée travaillée par le manque de ce qu’elle a commencé par laisser tomber (son négatif), en basculant d’un côté, et qu’elle ne cessera ensuite de vouloir retrouver, en avant d’elle, par un autre côté – à chercher.

Mais qui reste un côté – la philosophie est toujours d’un côté ; aussi allant d’un côté à l’autre (nouveau) côté, est-elle forcée de toujours avancer? Condamnée à progresser.

François Jullien dans Un sage est sans idée

Une pièce musicale de Jean-Pierre Rampal & Lily Laskine – Sakura Sakura

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