Le bien, le beau et le vrai

Francois_Cheng

Puisque l’univers vivant est là, il faut bien qu’il y ait une vérité pour qu’une telle réalité, en sa totalité, puisse fonctionner. Quant au bien ou à la bonté, nous en comprenons aussi la nécessité. Pour que l’existence de cet univers vivant puisse perdurer, il faut bien qu’il y ait un minimum de bonté, sinon on risquerait de s’entretuer jusqu’au dernier, et tout serait vain. Et la beauté? Elle existe sans que nullement sa nécessité, au premier abord, paraisse évidente. Elle et là, de façon omniprésente, insistante, pénétrante, tout en donnant l’impression d’être superflue c’est là son mystère, c’est là, à nos yeux, le plus grand mystère.

Nous pourrions imaginer un univers qui ne serait le vrai, sans que la moindre idée de beauté ne vienne l’effleurer. Ce serait un univers uniquement fonctionnel où se déploierait des éléments indifférenciés, uniformes, qui se mouvraient de façons interchangeables. Nous aurions affaire à un ordre de « robot » et non à celui de la vie. De fait, le camp de concentration du XXe siècle nous en a fourni une image terrible.

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Une création artistique digne de ce nom, dévisageant tout le réel, se doit d’entretenir les deux desseins: elle doit certes exprimer la part violente, souffrante de la vie, ainsi que toutes les formes de perversion que cette vie engendre, mais elle a également pour tâche de continuer à refléter ce que l’univers vivant recèle de beauté virtuelle. Chaque artiste en somme, devrait accomplir la mission assignée par Dante: explorer à la fois l’enfer et le paradis. D’ailleurs, une des preuves de l’existence de cette beauté virtuelle se trouve dans la création artistique même. Dans cette-ci, la recherche de la beauté de la forme et du style – même si cette beauté, nécessaire n’est jamais suffisante – est la marque qui distingue une œuvre d’art des autres productions humaines, à but utilitaire. L’art authentique est en soi une conquête de l’esprit; il élève l’homme à la dignité du Créateur, fait jaillir des ténèbres du destin un éclair d’émotion et de jouissance mémorable, une lueur de passion et de compassion partageable. Par ses formes toujours renouvelées, il tend vers la vie ouverte en abattant les cloisons de l’habitude et en provoquant une manière neuve de percevoir et de vivre

François Cheng dans Cinq méditations sur la beauté

Une pièce musicale de Jean-Pierre Rampal & Lily Laskine – Sakura Sakura

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