La Petite Mariée

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On rencontre beaucoup de visages dans le monde, mais certains d’entre eux pénètrent dans notre esprit presque à notre insu. Ce n’est pas à cause de leur beauté qu’ils s’imposent à nous, mais plutôt à cause d’une autre qualité. Dans la plupart des visages la nature humaine ne transparaît pas, mais il s’en trouve cependant où cette qualité mystérieuse, intérieure, se manifeste spontanément. Alors ce visage-là se fait remarquer entre mille autres et s’imprime tout à coup dans l’esprit.

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Elle ne savait pas qu’en cette dernière nuit le passé de sa jeune vie auquel elle s’accrochait avait changé d’aspect avant qu’elle s’en aperçoive. Maintenant elle pouvait aisément secouer les souvenirs comme l’arbre laisse tomber ses feuilles mortes.

Les légendes nous racontent qu’un habile fabricant d’armes peut façonner des épées si tranchantes que l’homme coupé en deux ne s’en aperçoit pas. Mais s’il est secoué, les deux parties se séparent. L’épée du destin est aussi aiguë. Lorsqu’elle avait séparé la jeunesse de Mrinmayi de son enfance, Mrinmayi ne s’en était pas aperçue. Mais aujourd’hui, à cause d’une secousse, les deux parties de sa vie se détachèrent l’une de l’autre, et Mrinmayi en fut tristement surprise.

Rabindranath Tagore dans La Petite Mariée suivi de Nuage et Soleil

Une pièce musicale de Anoushka Shankar – Lasya

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