L’Amour des fantômes

Nos yeux sont faits de tout petits carreaux de faïence, certains brisés, avec dessus le bleu perdu des premiers jours. Nous n’habitons ni les villes, ni la terre. Un peu le ciel.

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L’âme a un besoin vital d’herbes folles et de vieilles choses.

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La vraie naissance, la seul qui compte, c’est celle de l’esprit, son entrée subtile et fracassante en nous.

L’esprit inonde les berceaux – une vague de lumière haute de plusieurs dizaines de mètres soulève l’Humain dans son apparition.

Puis, très vite, déçu par nos apprentissages qui sont autant de soumissions au monde, l’Esprit s’éloigne, recule, attend l’heure favorable pour revenir.

Nous naissons par intermittences, cette histoire n’est jamais vraiment finie ni commencée…

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Les nuages traînent au-dessus des toits orangés de l’usine. Ils hésitent à rentrer chez eux. Ils sont la part la plus humaine du cœur. La rue du 4-Septembre est en pente. D’un côté elle se précipite vers l’usine, roule et cogne son front contre les ateliers dont les toits de tôle ondulée aux bords coupants blessent les nuages. De l’autre côté la rue attaque Dieu par la face nord, elle monte, s’arrache à son bitume vérolé de petites pierres, bondit vers une colline où des arbres secouent coquettement leur chevelure à gauche, à droite.

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La vérité n’est pas dans l’Histoire ni dans rien de bruyant. La vérité est ce que serre un nouveau-né dans la minuscule pince à sucre de deux doigts roses : le jupon d’un nuage. La chair de terre cuite d’une feuille de platane.

Christian Bobin dans L’Amour des fantômes

Une pièce musicale de Anthony Phillips – Wich way the wind blows (The Geese and the Ghost) 

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