Magnificence

ImAGE enlacés

Le temps manquait d’amour. Elle se pencha pour lire. C’était un début d’attente, de rêverie. Les arbres eux-mêmes penchent vers la douceur du soir.

Elle ouvre un livre d’heures, un livre qui parle d’éternité. Elle lit et les mots s’échappent des pages, ils font autour de sa tête une couronne luisante. Les mots attendent la caresse d’une main sur la page, la tendresse d’une tête penchée, pour livrer leur secret.

Elle lit. Elle pense suivre le fil des heures. Mais les heures veulent l’éternité. Quelque chose chantonne dans l’air, au cœur du parchemin et sous la paume tranquille posée sur le livre entr’ouvert.

Les mots chantent. Seuls peut-être les mots sont libres.

Elle arrête sa lecture. Elle lève la tête. Un parfum frais et fort la surprend, l’enveloppe. Est-ce lilas, giroflée, muguet ou tubéreuse ? Ce parfum, elle le connaît et il vient de si loin. Une odeur de jasmin envahit toute la pièce mais elle ne peut savoir si cela vient de la fenêtre entrebâillée ou du livre qui attend.

La femme ouvre grand la fenêtre et regarde au loin. Quand le cœur est épris, les yeux se portent au-delà de l’horizon. Elle ne sait qui elle aime mais elle aime, c’est certain. Elle aime : c’est la seule façon d’avancer dans la vie, de faire chanter les heures.

L’odeur fraîche de jasmin est présage d’incendie. Le livre d’heures à la précieuse reliure n’est plus qu’un léger tas de poussière que la femme disperse d’un geste doux. Seule l’éternité est vivante, se dit-elle.

Elle regarde vers le lointain. Depuis combien de temps l’aime-t-elle, lui qu’elle n’a pas rencontré ? Elle a cru tromper son attente en lisant, en chantonnant, mais n’a fait qu’aviver son impatience. Jamais elle n’a tenu le fil des heures, elle le sait maintenant, ce qu’elle cherchait c’était une trace de lui, le murmure de sa venue.

Jamais il ne l’a tenue entre ses bras mais certaines nuits il penche son visage vers elle. Et parfois, lorsqu’elle est assise, silencieuse, remuant doucement les choses de son âme, elle sent derrière son épaule droite une présence. Une présence qui sourit.

C’est la première fois qu’elle respire ce parfum pourtant familier, cette bourrasque de jasmin qui fait trembler ses mains.

Doit-elle l’appeler bien-aimé, celui qui se cache ? Le jasmin chante dans la pièce, dans son cœur. Il annonce un grand amour.

Elle nomme bien-aimé celui qu’elle ne possédera jamais, celui qui échappe au livre de l’existence. Tout bas, avec crainte, elle prononce ce nom qui brûle les heures, ce nom qui seul est vivant.

Jacqueline Kelen dans Le manteau de magnificence

Une pièce musicale de Fauré: Cantique de Jean Racine Op 11

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