S’Aimer

                                                                                               comme-un-chant-d-esperance--jean-d-ormesson-editions-heloise-d-ormesson

Ce qu’il y avait de moins inutile sous le soleil, c’était de nous aimer les uns les autres.

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Le présent est une prison sans barreaux, un filet invisible, sans odeur et sans masse, qui nous enveloppe de partout. Il n’a ni apparence ni existence, et nous n’en sortons jamais. Aucun corps, jamais, n’a vécu ailleurs que dans le présent, aucun esprit, jamais, n’a rien pensé qu’au présent. C’est dans le présent que nous nous souvenons du passé, c’est dans le présent que nous nous projetons dans l’avenir. Le présent change tout le temps et il ne cesse jamais d’être là. Et nous en sommes prisonniers.

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Les hommes découvrent et ils inventent. Quand ils découvrent, les unes après les autres, les lois cachées de la nature et ce qu’ils appellent la vérité, ils font de la science. Quand ils se livrent à leur imagination et qu’ils inventent ce qu’ils appellent de la beauté, ils font de l’art. La vérité est contraignante comme la nature. La beauté est libre comme l’imagination.

Copernic découvre. Galilée découvre. Newton découvre. Einstein découvre. Et chacun d’eux détruit le système qui le précède.

Homère invente. Virgile invente. Dante invente. Michel-Ange, Titien, Rembrandt, Shakespeare, Racine, Bach et Mozart, Baudelaire, Proust inventent. Et aucun d’entre eux ne détruit les œuvres qui le précèdent.

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La vie est belle. Il lui arrive d’être cruelle. Mais, enfin, elle est belle. Et qu’elle soit, pour une raison ou pour une autre, par une espèce de miracle, nous y sommes attachés.

Elle est pleine de soleil, de collines de printemps, de platanes le long des routes, de rencontres, de lettre d’amour, de départ pour les iles, pour Naples, pour Ravello… on construit des choses qui durent, on écrit des chefs d’œuvre. On finirait par presque être heureux.

Elle est si longue, souvent interminable, tout à coup, elle est courte, elle est finie, elle s’en va.

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C’est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit

Ces moments de bonheur ces midis d’incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes.

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Jean d`Ormesson dans C’est une chose étrange à la fin que le monde

Une pièce musicale de Narciso Yepes – Recuerdos de la Alhambra 

6 réflexions sur “S’Aimer

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