Le rossignol

Rossignol

Il était un roi d’Occident à l’intelligence appliquée, aux gestes toujours un peu las, aux silences déconcertants. En vérité, il s’ennuyait. Son palais ? Royal, sans surprise, pourvu de tout ce qui finit un jour ou l’autre par lasser, femmes, jeux, conseillers savants, bibliothèques, hautes fenêtres. Son parc ? Jets d’eau, arbres taillés par les plus grands coiffeurs du monde, haies de buis et graviers crissants, massifs de fleurs géométriques. Bref tout était, chez ce roi-là, si parfaitement ordonné qu’il fut pris, un soir de juillet, d’un élan révolutionnaire.

– Je sors, dit-il. Non, s’il vous plait, ni garde du corps, ni carrosse. Je vais me promener. Bonsoir.

Seuil du jardin, perron de marbre. Devant lui, l’allée de statues et de cyprès au garde-à-vous. Il s’en fut droit, les mains au dos, la tête basse, au fond du parc. Mur d’enceinte habillé de lierre. « Je n’ai plus qu’à m’en retourner, pensa le roi. Qu’est-ce qui m’a pris de vouloir sortir sans escorte, sans même savoir où aller ? » Il soupira, et que vit-il ? Une porte basse, modeste, peinture écaillée, clé rouillée. Il la poussa. Elle résista, elle gémit, s’ouvrit à moitié. Il franchit le seuil, s’arrêta et regarda, un peu craintif.

De la folle avoine partout, de grands arbres au feuillage hirsute, des buissons touffus, çà et là. « Quel drôle d’endroit », se dit-il. Et voilà que soudain, là-haut, dans la verdure naquit une musique. Elle était vive, elle était tendre. Elle faisait rire le soleil, elle faisait danser sa lumière. Le roi, la tête au ciel, en resta bouche ouverte. Il pensa :« Ce doit être un ange caché sous des plumes d’oiseau. Pour chanter aussi bien, comme il doit être beau ! » Il le chercha parmi les branches, mais il ne put l’apercevoir. Le chant, dans l’ombre, s’éteignit. Le roi s’en revint au palais, le cœur battant, l’œil ébloui. Il convoqua ses conseillers.

– Messieurs, dit-il, grande nouvelle. Au-delà du parc est un lieu où chante un prodige d’oiseau. Il est assurément royal et d’une beauté sans pareille. Trouvez-le vite, je l’attends.

On battit les buissons, les herbes, on grimpa aux arbres, on fouilla, on attendit, assis par terre. Le chant s’éveilla dans la nuit. Il était proche. On le cerna, et l’on bondit sur la bestiole. Un rossignol. Un roi, cela ? Il était couleur feuille morte, il tenait au creux de la main. On l’enveloppa dans un linge, on le porta, vite, au palais. Le roi dînait. Il prit l’oiseau, l’examina et fit la moue.

– C’est une erreur, il est quelconque, dit-il enfin. Allons, mes gens, une musique aussi parfaite ne peut sortir d’un tel gosier. Je veux en avoir le cœur net. Chante, petit.

L’oiseau se tut.

– Renvoyez-le à ses feuillages. Assurément ce n’est pas lui que j’ai entendu tout à l’heure.

Il s’en revint le lendemain et tous les matins de sa vie guetter la voix miraculeuse. Il s’en émut, il s’en emplit. Il appela en pure perte celui qu’il imaginait beau parce que son chant touchait son âme. Lui vint une mélancolie qu’on estima inguérissable. Il en ignorait la raison. Il ne savait pas que les êtres qui sèment parfois sur nos têtes quelques graines de paradis sont des oiselets démunis, et qu’au regard des rois du monde qui ne veulent voir de beauté qu’à la mode de leurs palais, les anges sont peut-être laids.

Henri Gougaud dans Le livre des chemins

Une pièce musicale de Respighi: The Birds, P. 154 – 4. The Nightingale

Laisser un commentaire