Le bouddhisme n’existe pas

Cest-cela

Pour qui fait le choix d’entrer en bouddhisme, le dharma, un terme essentiel qui condense en lui la loi, la norme, l’enseignement, deviendra la référence qui s’interposera désormais dans sa relation au monde. Aujourd’hui, même les discours bouddhistes apparemment les plus orthodoxes se doublent d’une reconfiguration intérieure et d’une certaine distanciation vis-à-vis de la tradition. Pour tout Occidental, cette appropriation est bien une mise à l’épreuve, celle de sa propre subjectivité. Nous sommes devenus des sujets qui revendiquons l’autonomie de nos choix, de nos actes et de nos pensées. Nous sommes devenus à nous-mêmes notre propre autorité. Pourtant l’enseignement du Bouddha ne s’est jamais présenté comme une tentative transitoire de penser le monde que nous serions conviés à notre tour à corriger ou à compléter. Pour toutes les traditions bouddhistes, « prendre refuge dans le Bouddha » a toujours supposé de reconnaître sa pleine dimension d’autorité, jusqu’à se laisser – pour reprendre une métaphore traditionnelle – submerger par son enseignement. Ce conflit d’autorité dans le cadre de la modernité, auquel non seulement le bouddhisme mais toutes les traditions religieuses sont désormais confrontés, ne peut plus être résolu par un choix exclusif : si le sujet soumet la tradition à sa loi, s’il garde ce qui lui convient et écarte ce qui le gêne, il s’empêche de se laisser submerger par le message religieux. Si à l’inverse la tradition soumet le sujet à sa loi, celui-ci ne peut que verser dans l’intégrisme et le fondamentalisme.

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L’expérience religieuse surgit dans un pas de côté, lorsqu’on reconnaît l’insuffisance d’être à soi-même son propre fondement. On s’ouvre alors à la parole d’un autre. Toute dynamique de transmission possède une double dimension. La première est passive : j’accueille ce qui a été dit comme un message. Mais à elle seule cette passivité ne suffit pas puisque ce message m’est personnellement adressé. La transmission implique et me commande de devenir un acteur réellement engagé dans cette expérience. Ce double mouvement, apparemment contradictoire, constitue l’essence même de toute expérience religieuse.

La passivité n’est pas une démission. Je ne laisse pas quelque chose ou quelqu’un opérer à ma place, corps et esprit désertés. En réalité, je ne peux être que le seul acteur de ma vie. La passivité est plutôt de l’ordre de la disponibilité intérieure. Elle se marie avec l’activité qui est mobilisation entière de soi. Sans la dimension active de l’appropriation, la transmission ne serait qu’ânonnement et répétition servile. L’expérience religieuse est un défi lancé à soi-même. Car il ne s’agit pas de répéter, mais bien de vivre. Une transmission qui ne saurait nous émouvoir, nous bouleverser et nous embellir n’aurait guère de sens.

Éric Rommeluère dans Le bouddhisme n’existe pas

Une pièce musicale Temple of Silence

2 réflexions sur “Le bouddhisme n’existe pas

  1. « Pour toutes les traditions bouddhistes, « prendre refuge dans le Bouddha » a toujours supposé de reconnaître sa pleine dimension d’autorité, jusqu’à se laisser – pour reprendre une métaphore traditionnelle – submerger par son enseignement. »… Cette phrase que vous nous dite être de Éric Rommeluère m’étonne énormément. Rommeluère est un enseignant assez connu et je ne vois pas comment il a pu déformer à ce point là l’essence du bouddhisme et son vécu quotidien. Car s’il y a une spiritualité où l’on se sent libre, c’est bien le bouddhisme! Aucun bouddhiste ne peut ignorer les dernières paroles de celui que ses disciples appelèrent l’Éveillé: « Soyez à vous-même votre propre flambeau », ou, si vous préférez une autre traduction, « votre propre lumière ». Le Dharmma est conçu comme le champ de la réalité, telle qu’elle est, que l’on peut enseigner si l’on en est capable et comprendre si on le cherche. Il n’y a pas d’adoration dans le bouddhisme, ni d’un maître, ni d’une doctrine et encore moins de soumission à quoi que ce soit. Bref! je reste donc très étonnée!

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