J’ai vécu 15 milliards d’années

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Supposons, par exemple, que je veuille me rendre par une route bien plate et bien droite dans un village B situé à 5 kilomètres de l’endroit où je suis en ce moment. Quoi de plus naturel, semble-t-il, que d’affirmer savoir parfaitement ce que j’entends quand je dis que B est à 5 kilomètres de moi ? J’ai mesuré avec mon mètre cette distance, et j’ai trouvé 5 kilomètres ; je peux en conclure que, si je marche à 5 kilomètres à l’heure, je mettrai une heure pour atteindre ce point B, et si je marche à 10 kilomètres à l’heure je serai en B en une demi-heure. Jusqu’à l’année 1905, tous les physiciens du monde étaient convaincus qu’il en était bien ainsi, autrement dit que cela voulait dire quelque chose de précis d’affirmer qu’il y avait 5 kilomètres entre deux points A et B de l’espace.

Il y avait cependant un voyageur qui intriguait alors beaucoup les physiciens en ce début de siècle, en ce sens qu’il ne voulait pas se comporter comme tout le monde : ce voyageur était la lumière. Contrairement au voyageur « normal », qui met deux fois moins de temps pour aller de A en B s’il se déplace deux fois plus vite, la lumière mettait toujours le même temps pour aller de A en B, même si on montait la source de lumière sur un véhicule se dirigeant lui-même vers B, au lieu d’une source immobile située en A. C’est un peu comme si on avait découvert que pour le voyageur-lumière il ne servait à rien d’installer un tapis roulant entre A et B, quelle que soit la vitesse du tapis roulant le voyageur mettait toujours le même temps pour aller de A en B.

Le jeune Albert Einstein (il a 25 ans seulement en 1905) était très intrigué par ce problème. Pour tenter d’y répondre il se livra à une analyse critique très minutieuse des préjugés que la science de l’époque adoptait pour définir les distances et les temps. Et il conclut que ce n’était pas tellement la lumière qui était un voyageur « exceptionnel », mais que nos préjugés sur l’espace et le temps étaient erronés : les mesures d’espace et de temps n’étaient pas indépendantes l’une de l’autre ; nous n’avons pas le droit de dire, par exemple, que tel point B est à une distance de 5 kilomètres du point A : il faut encore dire quelle vitesse par rapport à B possède l’observateur en A lorsqu’il propose cette affirmation. Plus sera grande cette vitesse de l’observateur quand il passe en A, plus il constatera que la distance AB est petite ; et, en fait, pour le voyageur-lumière, la distance AB est nulle, ce voyageur n’aura pas « vieilli » du tout pour se rendre de A en B !

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L’espace et le temps seraient donc non seulement associés l’un à l’autre au point que l’espace puisse présenter des « raccourcis » pour se rendre d’un point à un autre du cosmos plus rapidement (Relativité restreinte, 1905) ; mais encore, cet espace serait fermé sur lui-même et en expansion dans toutes les directions (Relativité générale, 1915) ! Mais, dans ce cas, qu’y aurait-il avant la naissance de l’Univers, puisqu’on prétend qu’il est né il y a 15 milliards d’années seulement ? Et qu’y aurait-il en dehors de l’espace de l’Univers, puisqu’on admet qu’il est fini et en expansion ? En expansion dans quoi ? C’est là l’éternelle curiosité de l’Homme, jamais totalement satisfait de ses découvertes, une porte ne s’ouvrant sur de nouveaux paysages que pour nous poser simultanément de nouvelles questions. L’Homme n’a de cesse qu’il « crève » la voûte des cieux pour découvrir ce qui se passe « de l’autre côté ».

Jean E. Charon dans J’ai vécu quinze milliards d’années

Une pièce musicale de Jacob Mühlrad – Time

2 réflexions sur “J’ai vécu 15 milliards d’années

  1. Même (et surtout ?) ce qui nous semble le plus évident a besoin d’être régulièrement questionné afin d’éviter de confondre préjugé et vérité…
    Si la science, qui nous parait si « solide » et indiscutable, peut être le siège de préjugés, que dire des autres disciplines ? 🙂

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