Derniers écrits au bord du vide

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La conscience humaine est ainsi faite qu’au commencement elle baignait dans un état d’inconnaissance complet. Puis il y eut la consommation du fruit de l’arbre de la connaissance – la connaissance consistant à faire du connaissant une entité distincte de ce qu’il connaît. C’est l’origine de notre monde. Le fruit nous coupa de notre état de non-connaissance au sens de « n’être pas conscient de la scission sujet-objet ». L’éveil de la connaissance se traduit par notre rejet du Jardin d’Éden.

Mais demeure en nous l’ardent désir de réintégrer l’état d’innocence antérieur, d’un point de vue épistémologique, à la création, de revenir à l’état où il n’y a plus de division

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J’étais très embarrassé par la façon dont on dit en anglais : « Le chien a quatre pattes », « Le chat a une queue ». En japonais, le verbe « avoir » n’est jamais utilisé en ce sens. Si vous dites « J’ai deux mains », cela s’entend comme si vous teniez deux mains étrangères dans les vôtres.

Plus tard, je développai l’idée selon laquelle l’insistance mise par la mentalité occidentale sur la possession est le signe de la place prépondérante accordée au pouvoir, à la dualité, à la compétition, traits qui sont absents de la sensibilité orientale.

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Descartes, le père de la philosophie moderne, déclara : Cogito ergo sum. Mais il faut renverser la proposition. Sum vient en premier. En affirmant : « Je suis », je pense ce que je dis. Je sépare « je » de « non-je ». Lorsque je dis « je suis », je sors de moi-même. « Je suis » est le point de départ, mais nous nous exilons pour aller dans le cogito, dans le « je pense ». C’est une chose difficile à saisir, car aucun processus d’intellection ne nous aidera à résoudre le problème.

Daisetz Teitaro Suzuki dans Derniers écrits au bord du vide

Une pièce musicale Ozatsuma (shamisen)