Le Bouddhisme du Bouddha

Alexandra David-Neil

« Imaginez que quelqu’un achète un vase de lait à un gardeur de troupeau et s’en aille en laissant le vase à ses soins, disant : Je reviendrai demain », et le jour suivant, le lait se caille. Quand l’acheteur revient, on lui offre le lait caillé mais il le refuse, disant: « Ce n’est point du lait caillé que je vous ai acheté, donnez-moi mon vase de lait. » Mais le gardeur de troupeau réplique ; « Sans que je n’y sois pour rien, votre lait est devenu du lait caillé. »

Voici bien démontrée la relation entre la cause et l’effet, leur parenté, leur identité foncière, malgré les aspects très différents qu’ils peuvent revêtir et en dépit de l’individualité distincte attribuée à chacun d’eux. Mais tout ceci n’explique point l’action d’une équitable rétribution donnant à nos actes une sanction morale par les fruits que nous en récolterons en d’autres existences ou, à l’inverse, nous assurant que les circonstances heureuses ou pénibles de notre vie présente sont l’aboutissement de l’œuvre à laquelle nous avons personnellement travaillé dans l’infini des temps passés.

Cette dernière idée ne doit pas se chercher dans le Bouddhisme. Elle ne s’y trouve point. Lorsqu’il nous semblera l’y rencontrer, nous pourrons nous dire, en toute certitude, ou que Dons nous trouvons en face d’un enseignement en désaccord avec la doctrine originelle, ou que nous saisissons mal la signification d’un passage obscur, prêtant à l’équivoque.

Il ne peut y avoir place pour une justice distributive personnelle, pour une rétribution directe et individuelle, dans une philosophie qui nie la permanence et la réalité substantielle de la personnalité.

Karma, dans l’acception populaire de balance des récompenses et des châtiments, ou suivant celle que certains Théosophes ont acclimatée en Occident, est un non-sens au point de vue bouddhiste. L’œuvre et ses suites, l’action et ses conséquences, la Loi de l’enchaînement indéfini des Causes et des Effets (Karma-Vipâka), voilà ce qu’a simplement enseigné le Bouddhisme sans tenter d’y introduire cette notion de justice égoïste qui nous hante et qui, mesurant les choses à la mesure étroite de cerveaux qu’égare l’illusion du « Moi », paraît, parmi l’immensité des vues de la philosophie hindoue, une bien puérile manie.

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Ce qu’il ne faut pas entendre dans le sens qu’il est indifférent que nous commettions n’importe quels actes. Bien au contraire, le Bouddhisme enseigne que l’on n’échappe jamais aux conséquences des actes commis. L’un des buts de la méditation bouddhiste est, précisément, en brisant la notion étroite du « moi », de faire saisir, sous un acte plus large, le jeu des actions et des réactions dans l’univers et la manière dont notre « moi » impermanent y participe.

Alexandra David-Neel dans Le Bouddhisme du Bouddha

Une pièce musicale Green Tara Mantra