Le néant quotidien

Grèce la mer

Trois fenêtres grandes ouvertes confirment que la mer existe. Et si elle existe, je suis assise au bord du lit, comme chaque matin, en train de boire à petites gorgées un café noir et amer, en poudre il y a quelques minutes, et liquide à présent. Depuis combien de temps ai-je commencé cette cérémonie matinale ? Boire du café en contemplant la mer, comme si les vagues étaient des fragments de vie. L’eau est fascination lente, sérénité maximale, effroi curieux qui apaise. Je fais la même chose depuis un nombre infini d’aurores, traverser l’écume, le corps hiératique, tandis que l’âme me susurre qu’elle existe, comme la mer. Comme le mal du déséquilibre. En moi, comme partout sur terre.

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Je suis parvenue à la conclusion que l’acte le plus important de ma vie est de me réveiller. Me réveiller de la torpeur imposée par l’épaisse réalité. Me réveiller chaque matin et boire un café en constatant que la mer est toujours là, en la caressant des yeux derrière les fenêtres de mon refuge hexagonal. Me réveiller, boire un café et regarder la mer, telle est ma plus grande ambition. La mer ne partira jamais ? Pourquoi grossit-elle au lieu de se retirer, et déborde-t-elle en faisant disparaître le mur de la jetée, les maisons, en dérobant les objets et les vies ? Quel péché ce peuple a-t-il commis, que la mer lui fait expier avec de plus en plus de hargne ? Pourquoi la mer ne peut-elle s’en aller, se perdre, pour laisser pousser des fleurs à sa place, un immense jardin pour les enfants, les jeunes, les vieillards, pour tout le monde ? Ces derniers temps, la mer est en rogne.

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Elle vient d’une île qui avait voulu construire le paradis.

Zoé Valdés dans Le néant quotidien

Une pièce musicale de Debussy: La Mer / Karajan · Berliner Philharmoniker

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