Le tribunal des outils

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Il y avait une fois, il y a bien longtemps de cela, dans un petit village nordique, un atelier de charpentier. Un jour que le Maître était absent, les outils se réunirent en grand conseil sur l’établi. Les conciliabules furent longs et animés, ils furent même véhéments. Il s’agissait d’exclure de la communauté des outils un certain nombre de membres.

L’un d’eux prit la parole : « Il nous faut, dit-il, exclure notre sœur la scie, car elle mord et elle grince des dents. Elle a le caractère le plus grincheux du monde. »

Un autre dit : « Nous ne pouvons conserver parmi nous notre frère le rabot qui a le caractère tranchant et qui épluche tout ce qu’il touche. »

« Quant au frère marteau, dit un autre, je lui trouve un caractère assommant. Il est tapageur. Il cogne toujours et nous tape sur les nerfs. Excluons-le. »

« Et les clous ? Peut-on vivre avec des gens qui ont le caractère aussi pointu ? Qu’ils s’en aillent ! Et que la lime et la rape s’en aillent aussi. À vivre avec elles, ce n’est que frottement perpétuel. Et qu’on chasse le papier de verre dont il semble que la raison d’être dans cet atelier soit de toujours froisser ! »

Ainsi discouraient en grand tumulte les outils du charpentier. Tout le monde parlait à la fois. L’histoire ne dit pas si c’était le marteau qui accusait la scie et le rabot la lime, mais il est probable que c’était ainsi, car à la fin de la séance, tout le monde se trouvait exclu.

La réunion bruyante prit fin seulement par l’entrée du charpentier dans l’atelier. On se tut lorsqu’on le vit s’approcher de l’établi. Il saisit une planche et la scia avec la scie qui grince. La rabota avec le rabot au ton tranchant qui épluche tout ce qu’il touche. Le frère ciseau qui blesse cruellement, notre sœur la rape au langage rude, le frère papier de verre qui froisse, entrèrent successivement en action. Le charpentier prit alors nos frères les clous au caractère pointu et le marteau qui cogne et fait du tapage. Il se servit de tous ses outils au méchant caractère pour fabriquer un berceau.

Pour accueillir l’enfant à naître. Pour accueillir la vie.

Jean-Claude Carrière dans Le cercle des menteurs, Contes philosophiques du monde entier

Une pièce musicale de Tara – Le Berceau

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