Milarepa

J’avais saisi que répéter des formules n’est rien ; seul l’effort produit des bénéfices. J’avais saisi que le bien demande plus de volonté que le mal. J’avais saisi aussi que mon corps est un navire fragile ; si je le charge de crimes, il sombre ; si je l’allège en pratiquant le détachement, la générosité, l’oubli de moi, il me mène à bon port. J’avais enfin saisi qu’auparavant je n’étais pas un homme, mais seulement un deux-pattes, faiblement poilu et doté d’un langage articulé ; l’humanité m’apparaissait au bout de la route. Elle était loin, une cible. Parviendrais-je jamais à devenir un homme ?

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Je méditai ainsi, jour et nuit ; je ne remuai pas ; je ne comptais plus les heures ni les semaines, mon esprit s’absorbait dans la méditation, j’avais dissous le temps. Je découvrais que je n’étais pas seul lorsque j’étais tout seul ; ma solitude se peuplait de démons, de pulsions, de souvenirs, de désirs ; cela grouillait de partout ; j’avais envie de bouger, de me lever, de partir, de m’enfuir de moi-même ; j’étais un roi constamment en lutte contre des soulèvements et des émeutes, un roi fragile, menacé. Parfois, la paix me gagnait, une aube silencieuse dans ma nuit.

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La compassion bien sûr. Ouvrir son cœur aux autres. Ressentir la leur. Dans notre tradition occidentale, on ne connait que la pitié, cette vertu hiérarchique, cette condescendance pour l’autre qu’éprouve une conscience supérieure; rien à voir avec la compassion, cette cordialité profonde, cette religion de bonté.

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J’avoue que je ne savais pas si ma réponse était idiote ou très profonde. D’ailleurs, plus j’avance en âge, plus la frontière entre l’extrême bêtise et la grande intelligence s’estompe. Comme celle du rêve et du réel.

Eric-Emmanuel Schmitt dans Milarepa

Une pièce musicale Milarepa 2006 OST – Padmakara

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