Kukum

Je m’amusais à écouter l’écho de ma voix se perdre entre les montagnes. Thomas m’observait en souriant, sans jamais rater un coup de rame.

Il m’avait décrit ce monde et je le découvrais maintenant, tous sens éveillés.

L’odeur épicée des épinettes, le bleu profond de la rivière, le soleil incandescent, la fraîcheur de l’air descendant des cimes, le murmure du canot sur l’eau.

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Avec le temps, la forêt a transformé mon corps. Le soleil a buriné ma peau claire. Au fil des portages, mes muscles se sont raffermis, je suis devenue plus résistante au froid, j’ai appris à ignorer les piqûres d’insectes et à vivre avec la faim s’il le fallait. Quand je craquais une allumette sur ma jupe et que le tabac de ma pipe s’enflammait, personne ne doutait que j’étais Innue.

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Mes enfants sont nés dans le bois. Mes petits-enfants ont grandi dans la réserve. Les premiers ont reçu leur éducation en territoire, les seconds, au pensionnat. En en revenant, les enfants s’exprimaient en français. Les pères blancs leur interdisaient de parler l’-innu-aimun et punissaient même ceux qui le faisaient. Un autre pont a été coupé entre les générations. Ils ont pensé qu’en les dépossédant de leur langue, ils en feraient des Blancs. Mais un Innuqui parle français reste un Innu. Avec une blessure de plus.

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J’ai vécu la maternité comme une grande responsabilité qui m’était confiée. La vie en territoire pouvait paraître fragile et elle l’était souvent. La survie des humains dépendait de leur capacité à s’adapter au monde, à vivre en harmonie avec la nature, comme le font les autres espèces. Nous y avions notre place. C’est ainsi que j’en suis venue à comprendre notre existence en forêt.

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J’arrivais d’un monde où l’on estimait que l’humain, créé à l’image de Dieu, trônait au sommet de la pyramide de la vie. La nature offerte en cadeau devait être domptée. Et voilà que je me retrouvais dans un nouvel ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l’homme n’était supérieur à aucun autre.

Michel Jean dans Kukum

Une pièce musicale de Nikamu Mamuitun Chansons rassembleuses – Puamunam

Les paroles sur https://nikamumamuitun.com/musique/