Gratitude et asymétrie

Qu’une personne puisse donc découvrir, dire et transmettre comment le souffle du « oui » créateur passe en elle, en cet instant qui ne reviendra jamais, de façon unique et insubstituable, ne dépend en effet pas de ce qu’autrui fasse ou pas la même découverte et lui permette ou pas d’en profiter à son tour. Peut-être le fera-t-il, mais cela ne compte pas. Ce don n’est pas soumis à l’impératif de réciprocité mais à celui d’une œuvre à accomplir, une œuvre sans contrepartie. Les tragédies privées et collectives, si sombres et si récurrentes, n’interdisent pas cette gratitude face au dévoilement en soi-même de la richesse inépuisée de notre part de manne et de notre capacité, grâce à elle, d’en faire bénéficier d’autres créatures qui nous remercieront ou pas. Ces tragédies, mais aussi la banalité des souffrances quotidiennes, appellent chaque jour de nouveau, avec fièvre et angoisse souvent, à chercher et à découvrir les ressources que chacun porte en soi – sa part de manne – ressources qui s’alimentent au« oui » créateur et qui transforment ces ressources en  offrande de gratitude. Mais, quoi qu’il en soit du destinataire ultime (Dieu ? la vie ?) de cette montée en gratitude, elle passe nécessairement par l’attention portée à autrui. Levinas écrit : « D’où me vient ce choc quand je passe indifférent sous le regard d’Autrui ? La relation avec Autrui, me met en question, me vide de moi-même et ne cesse de me vider en me découvrant des ressources toujours nouvelles. Je ne me savais pas si riche, mais je n’ai plus le droit de rien garder.

Catherine Chalier dans Découvrir la gratitude au risque de l’asymétrie

Une pièce musicale de Mari Samuelsen – Timelapse

Laisser un commentaire