Citadelle

Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis.

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Si je te faisais don d’une fortune toute faite, comme il en sort d’un héritage inattendu, en quoi t’augmenterais-je? Si je te faisais don de la perle noire du fond des mers, hors du cérémonial des plongées, en quoi t’augmenterais-je ? Tu ne t’augmentes que de ce que tu transformes, car tu es semence. Il n’est point de cadeau pour toi. C’est pourquoi je veux te rassurer, toi qui te désespères des occasions perdues. Il n’est point d’occasions perdues. Tel sculpte l’ivoire et change l’ivoire en visage de déesse ou de reine qui frappe au cœur. Tel autre ciselle l’or pur et peut-être, le profit qu’il en tire, est-il moins pathétique aux hommes. Ni à l’un ni à l’autre l’or ou le simple ivoire n’ont été donnés. L’un et l’autre n’ont été que chemin et voie et passage. Il n’est pour toi que matériaux d’une basilique à bâtir. Et tu ne manques point de pierres. Ainsi le cèdre ne manque point de terre. Mais la terre peut manquer de cèdres et demeurer lande caillouteuse. De quoi te plains-tu ? Il n’est point d’occasion perdue car ton rôle est d’être semence. Si tu ne disposes point d’or, sculpte l’ivoire. Si tu ne disposes point d’ivoire, sculpte le bois. Si tu ne disposes point de bois, ramasse une pierre.

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Le véritable enseignement n’est point de te parler mais de te conduire.

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Ainsi, du sommet de la tour la plus haute de la citadelle, j’ai découvert que ni la souffrance ni la mort dans le sein de Dieu, ni le deuil même n’étaient à plaindre. Car le disparu si l’on vénère sa mémoire est plus présent et plus puissant que le vivant. Et j’ai compris l’angoisse des hommes et j’ai plaint les hommes.

Et j’ai décidé de les guérir.

Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle

Une pièce musicale de IDIR – Pourquoi cette pluie

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