Marche

Aujourd’hui 16 juin, à l’idée de partir sur cette route empruntée pendant dix siècles par une foule d’anonymes, l’émotion pénètre le fond de la besace. Une vraie bonne émotion, douce et subtile, mais très présente. Une émotion qui, au sens étymologique du terme, me met hors de chez moi. Une émotion due au sentiment d’appartenir à l’huma­nité qui marche, d’être guidé par Cela qui nous dépasse, mais qui aujourd’hui me touche profondément. La besace reçoit l’honneur de faire partie de l’humanité en marche. Pour un mois, elle prend le relais. Elle prend l’engagement de suivre le bâton jusqu’à Rome.

Aujourd’hui la besace anonyme part sur la route des sans nom, des marchands, des prélats, des scientifiques, des soldats et des pèlerins venus de toute l’Europe. À l’époque, les pèlerins revêtaient des habits adaptés à la longue marche et aux intempéries. On conçoit que, probablement, certains ne revenaient pas du voyage. On comprend aisément que, à l’époque, « partir » n’était pas un mot anodin. Partir nécessitait quelques sérieux préparatifs. Ainsi donc, le futur pèlerin se devait de régler la totalité de ses dettes. D’écrire un testament qui spécifiait la raison du voyage et la durée prévue. Ce document prévoyait l’attribution de ses biens au cas où le pèlerin ne regagnerait pas le domicile un an et un jour après la date de retour annoncée. Selon le rituel, le pèlerin devait pardonner à toutes les personnes qui avaient pu lui causer préjudice. Il devait aussi faire ses adieux à l’ensemble de la communauté dans laquelle il vivait.

Les temps ont évolué, les rituels de séparation aussi. De nos jours, ce sont les avocats qui s’en chargent. En mille ans, l’espérance de vie a doublé. Se nourrir et se loger sur les chemins de pèlerinage n’est plus vraiment un défi pour beaucoup d’entre nous. Revenir un jour chez soi est statistiquement plus que très probable. La maladie, la misère, l’agression, et la mort sont bien moins fréquentes sur la Via Francigena que dans nos villes.

Les temps ont évolué. Les marcheurs au long cours le savent tous, on ne peut pas marcher dans le passé. On ne peut pas marcher hier. C’est impossible. On ne peut mar­cher que dans le temps présent. Comment rencontrer la Vie, si ce n’est dans l’instant présent, l’instant cadeau ? Concrètement, chaque pas, chaque respiration ramène encore et toujours à la conscience du corps dans le parfait de l’instant présent. Il ne peut en être autrement. Et c’est bien comme ça. C’est pour cela que la marche à pied a été de tout temps et dans toutes les traditions, une pratique spirituelle privilégiée. La marche à pied est une vérité universelle.

André Weill dans Nous sommes faits pour marcher – A pied sur la Via Francigena du Val d’Aoste à la Place Saint-Pierre de Rome

Une pièce musicale de Gabriel Fauré – Après un Rêve

Laisser un commentaire