De l’attention

Lors d’un passage à Paris, il y a quelques années, j’ai pris un taxi qui, pendant une centaine de mètres, conduisait avec son coude. Dans le même temps, il tenait son portable d’une main et tentait de l’autre de saisir sur son GPS l’adresse que je lui avais indiquée. La radio donnait les nouvelles du matin tandis que sur un petit haut-parleur le standard de sa compagnie appelait en continu les chauffeurs pour savoir qui était intéressé par telle ou telle course. Distrait par tout, il ne faisait vraiment attention à rien. Heureusement, nous avons survécu.

À dix mille kilomètres de là, dans un lieu reculé des montagnes himalayennes au Népal, muni d’un logiciel fourni par l’université de Princeton aux États-Unis, j’avais demandé à un groupe de moines tibétains, en retraite contemplative pour trois ans1, de bien vouloir se prêter à des tests mesurant leur capacité d’attention. L’un de ces tests, appelé « Continuous Performance Task », ou CPT, consiste à observer des chiffres à peine visibles qui apparaissent brièvement sur un écran d’ordinateur portable au rythme d’un par seconde. La tâche consiste à appuyer sur un bouton lorsque le chiffre est un zéro et de ne rien faire pour les autres chiffres. Les sujets habituellement testés font des erreurs dès le départ et, au bout de dix minutes, leur attention se dégrade considérablement et ils multiplient les erreurs. Or, pendant un test de quarante-cinq minutes, plusieurs des méditants expérimentés ne firent aucune erreur, sur près de 3 000 réponses ! Tout cela dans le calme et sans tension. L’un des trois sur dix méditants qui n’avaient pas fait une seule erreur m’a demandé à la fin des quarante-cinq minutes : « Quel est le problème ? Faut-il continuer ? »

L’homme moderne se trouve de plus en plus souvent amené à faire plusieurs choses en même temps, le fameux « multitasking ». Cette faculté permet-elle d’être plus efficace ? Hélas, c’est tout le contraire. Une étude réalisée à l’université de Stanford a demandé à une centaine d’étudiants de se livrer à différents niveaux de « multitâche », tout en mesurant leurs performances sur un ensemble de tests cognitifs et comportementaux. Le résultat fut sans appel : plus un sujet s’engage dans le multitasking, plus l’ensemble de ses performances cognitives déclinent. On aurait pu espérer que les sujets les plus enclins au multitasking surpassent les autres au moins sur un point : la rapidité avec laquelle ils passent d’une tâche et l’autre.

*

La distraction est devenue une maladie chronique.

Anne de Pomereu dans A la reconquête de l’attention

Une pièce musicale de Joe Hisaishi – Merry-Go-Round of Life (from Howl’s Moving Castle)

Laisser un commentaire