Oscillation

Les Berbères ont forgé de somptueuses expressions pour distinguer les nomades des sédentaires. Les premiers sont appelés « hommes de la lumière » parce qu’ils vivent sous le soleil. Les seconds sont les « hommes de l’ombre », car ils demeurent sous leur toit.

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Un jour en Corse, près de Figari. Sur la plage nos hôtes ont organisé un spuntinu, comme on dit ici quand on prend du bon temps en même temps que le maquis. Autour du feu de bois, figatelle et vin de Sartène. Le ciel est une flanelle mitée de trouées solaires. La mer est en peau de taupe. Des blocs de granit roses encadrent la forêt d’arbousiers. Le genre de paysage que n’aiment pas les peintres : le travail est déjà fait. Une tour génoise veille, elle nous survivra. Soudain les invités lèvent la main dans un même mouvement. Ils prennent des photos, brandissent l’appareil à bout de bras. Ce geste, c’est le symbole de notre temps, la liturgie moderne. La société du spectacle a fait de nous des cameramen permanents. Quelle étrange chose, cette avidité de clichés chez des gens qui se pensent originaux. Quelle indigestion, quelle boulimie d’images. Plus tard, ils regarderont les photos et regretteront que le moment consacré à les prendre leur ait volé le temps où ils auraient pu s’incorporer au spectacle, en jouir de tous leurs sens et, le regard en haleine, célébrer l’union de l’œil avec le réel.

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Je crois à la mémoire des pierres. Elles absorbent l’écho des conversations, des pensées. Elles incorporent l’odeur des hommes. Les pierres sauvages des grottes et les pierres sages des églises rayonnent d’une force mantique. On est toujours saisi quand on pénètre sous une voûte de pierre qui a abrité les hommes.

Sylvain Tesson dans Une très légère oscillation

Une pièce musicale de Vangelis – Ask the Mountains

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