Désir de silence

Photo de Wara Nimprapuad sur Pexels.com

Car faire silence, et c’est peut-être là le point de départ de ma réflexion, ce n’est pas la même chose que se taire, ou du moins on ne saurait l’y réduire. Le silence dont il est ici question n’est pas seulement le contraire du bruit, ou alors il nous faudra également élargir notre acception du mot bruit à des formes de nuisances ou d’états problématiques qui excèdent le chiffre observable et scientifique d’un nombre de décibels. Le silence porte accueil et disponibilité, ascèse, écoute et ouverture. On s’y tient comme en une chambre, une citadelle, un royaume. Il peut aussi être celui, effrayant, des « espaces infinis », celui des bourreaux, celui de Dieu à Auschwitz, celui d’un tombeau vide. Il introduit, pour reprendre les mots d’Alain Corbin, « à une autre dimension du réel ».

*

Je peux juste écrire ceci : pour moi le silence est une source. Et pour moi le silence est un combat. À pas feutrés, à mots murmurés, je vous propose de faire ensemble quelques pas à la rencontre de cette joie et de ce combat-là. Le silence me nourrit, me fait vivre, me transporte. Sans silence je ne suis qu’un poisson rouge hors du bocal. C’est la parole trop souvent qui me tue. La parole me submerge ; flot des mots, bruit des voix, à commencer par la mienne. Écoutez ces mots confiés au papier dans le silence d’un dimanche de septembre et le stylo lui-même sur la page ne fait aucun bruit. Écoutez. Laissez germer en vous les signes noirs en fleurs inattendues. Ce que je veux dire peut-être, c’est : tentons ensemble le silence.

*

Dans le plein silence, dans cette présence au monde que je rêve la plus nue et la plus apaisée possible, le réel entier me rejoint. Ce ne sont plus seulement mes frères humains à qui je fais place mais voici mes frères non-humains : les arbres et les herbes, les oiseaux et les insectes, les éveillés à plumes, à poils et à écailles… Je sens battre ma vie et, parce que j’en suis consciente, viennent à ma conscience toutes ces vies qui ne sont les miennes et qui toutes ensemble battent, pulsent, et chantent et s’agitent et font avec moi monde commun. Le matin bruit de battements d’ailes, de grattements de froissements. Le hérisson ronchonne sous le laurier, les fleurs de lilas se défroissent imperceptiblement. Le ver de terre pousse son tunnel sous les tulipes, trois hérons remontent la rivière et en haut du sapin le merle s’égosille ; autour de moi la ville s’éveille. Je ne suis qu’une poussière dans le vivant multiple.

Jamais seule.

Oui : je me tais et voici que tout me parle.

*

Chut. Marquons une pause, taisons-nous un peu. Offrons parfois, si peu que cela soit, la possibilité d’une écoute. Faisons place à la parole de l’autre. Donnons à sa voix et à ses mots vrais une chance d’émerger : « Et toi, comment vas-tu aujourd’hui ? Mon ami, mon frère, qu’as-tu à me dire ? Comment va ta vie ? Qui es-tu ?…

Anne Le Maître dans Un si grand désir de silence

Une pièce musicale de Evelyn Stein – Quiet Resource

7 réflexions sur “Désir de silence

Laisser un commentaire