Quel bonheur?

Le bonheur existe avant l’idée du bonheur. Comme le dit justement André Comte-Sponville, « il y eut des gens heureux et malheureux bien avant que les philosophes n’y réfléchissent ». Cependant, il est intéressant de réfléchir à la manière dont les penseurs antiques ont appréhendé la notion. Opposer épicurisme et stoïcisme – plaisir et vertu – est un peu caricatural. Comme l’écrit Épicure dans la Lettre à Ménécée, le plaisir ne consiste pas en des « beuveries continuelles ». L’épicurisme est un hédonisme et un ascétisme. Il s’agit de jouir le plus possible mais aussi de souffrir le moins possible, donc d’apprendre à limiter ses désirs. Le stoïcisme, fondé par Zénon de Citium en 301 avant notre ère et qui s’épanouit sous l’Empire romain, est une ascèse individuelle qui n’ignore pas le bonheur. Est heureux l’homme qui supporte avec courage ce qui serait censé le rendre triste.

Des interrogations similaires émergent à la même période dans le sud du continent asiatique, à des milliers de kilomètres d’Athènes ou de Rome. Dans la philosophie bouddhiste, l’être humain ne doit pas s’enchaîner au désir, qui ferait de sa vie un va-et-vient tourmenté entre le manque et la satisfaction. Le bonheur est une harmonie. Dans la philosophie hindouiste, le bien-être de l’Univers (lokasaṃgraha), le bien-être de la société (samājakalyāṇa) et le bien-être des individus (janakalyāṇa) se complètent dans un équilibre entre la vie intérieure et le monde extérieur.

*

Lorsque l’on réfléchit au bonheur de l’homme de la préhistoire, une idée essentielle apparaît, que l’ethnologue américain Marshall Sahlins a développée dans son livre Âge de pierre, âge d’abondance. Le chasseur-cueilleur, donc Cro-Magnon, travaille trois, quatre heures par jour maximum pour se nourrir, alors que les paysans, dans les sociétés agricoles, travailleront en continu, et nous-mêmes à leur suite. La culture du blé ou de l’orge demandera beaucoup d’efforts. Le reste du temps, l’homme de la préhistoire peut peindre, produire des poèmes et s’aimer, avoir tous les loisirs possibles. En un mot, être heureux.

Il faut donc réviser la représentation que le XIXe siècle nous a laissée de la préhistoire, celle d’un progrès continu de l’humanité où il fallait imaginer le monde des grottes comme un monde malheureux, avec une humanité sombre et bestiale. Notre vision de l’histoire de l’humanité est aujourd’hui moins triomphale, ce qui amène à réviser notre conception de la préhistoire, par exemple en s’apercevant que nous n’avons pas tant de preuves de violence que cela. La violence augmentera régulièrement avec l’arrivée de l’agriculture sédentaire, des conflits de territoires, de la croissance démographique.

François Durpaire dans Histoire mondiale du bonheur

Une pièece musicale de Jean-Louis Aubert – Du Bonheur

Les paroles sur https://www.lacoccinelle.net/1394517-jean-louis-aubert-du-bonheur.html