Dialogue

(B.C.) La pensée occidentale (et c’est son grand piège) a fini par croire que la partie peut être séparée du tout, alors que la partie est un élément du tout. Nos spécialistes ont fait des performances tellement bonnes que leur discours social admet que le morceau peut être séparé du tout. On fait une partie, une découpe artificielle, mais une découpe didactique. Après l’avoir manipulée expérimentalement, on oublie ou l’on refuse de la réintégrer dans le tout. Il s’agit là d’une faute de pensée.

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(E.M) Je crois qu’on est encore loin d’avoir compris la nécessité de relier. Relier, relier, c’est sans doute le grand problème qui va se poser à l’éducation (…) On a créé des catastrophes naturelles en détournant des fleuves en Sibérie ou en faisant des barrages inconsidérés, on détruit des cultures dans une logique économique close. Il s’est développé ce que j’appellerai une intelligence aveugle aux contextes et qui devient incapable de concevoir les ensembles. Or, nous sommes dans un monde où tout est en communication, en interaction.

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(E.M) La vie est une navigation sur un océan d’incertitude, à travers des archipels de certitude. Nous sommes dans une aventure collective inconnue, mais chacun vit son aventure.

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(B.C.) Cet entraînement à se mette à la place d’un autre – ce que les philosophes nomment l’empathie – est un concept que je crois très utile, qu’on devrait en tous cas dépoussiérer, surtout avec les circonstances politiques qui sont en train de se dessiner. Car se mettre à la place d’un autre, c’est s’enrichir, mais c’est un effort, c’est aller à la découverte d’un nouveau continent mental, d’une nouvelle manière de penser, d’une nouvelle manière d’être homme. L’enjeu est capital, il s’agit d’un véritable quitte ou double : on s’enrichit en ouvrant son monde ou l’on fait une théorie cohérente et on le disqualifie, on l’excommunie, on l’exclut. Cette nouvelle humanité qui est en train de naître doit être une humanité de débat. Cela est très fatigant mais très passionnant, c’est la source de la vie.

Boris Cyrulnik et Edgar Morin dans Dialogue sur la nature humaine

Une pièce musicale de Ketil Bjornstad – Pianology