Résister au désastre

Le monde que nous connaissons est intrinsèquement issu de la colonisation, de la mise en coupe réglée des terres colonisées et de la destruction ou de l’asservissement de leurs habitants. Mais cela a eu lieu également en Europe, avec ce que les Anglais appellent les enclosures. Ici comme ailleurs, la destruction s’est faite au nom du progrès, en faisant régner un droit de propriété qui est avant tout un droit d’exploiter, d’extraire, d’abuser et de défaire toutes les interdépendances.

Ce que, après les sorcières, les activistes d’aujourd’hui ont appris, c’est l’existence d’une liaison essentielle entre la lutte et la guérison. L’idée de se rendre à nouveau capable de cultiver ce qui est systématiquement détruit dans les milieux où nous vivons.

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Dans un compost, les identités se défont et de nouvelles compositions deviennent possibles. Ce qui compte, ce sont les transformations mutuelles, pas la reproduction de lignées ou d’identités spécifiques.

Mais toutes ces involutions font partie de la nouvelle donne, de la nécessité de penser avec ce qui arrive. Personne n’était vraiment préparé à ce que j’ai appelé « l’intrusion de Gaïa ». Cela crée des liens, fait sentir que nous avons besoin les uns des autres. 

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On sait qu’on ne peut plus penser comme avant, qu’il faut prendre des risques pour fabriquer de la pensée qui soit au mieux utile, ou au moins pas nuisible pour ceux qui viennent. Et si on ajoute à tout cela la montée des inégalités sociales, il faut bien reconnaître que l’on fait face à un monde où les différents types de sensibilités encore cultivées – il y en a tant qui ont été détruites – sont forcées de faire alliance, d’involuer.

Isabelle Stengers dans Résister au désastre

Une pièce musicale de Florent Vollant | NENANTUAPMANAN