C’était au temps

Je dis souvent à mes petits-enfants, et à ma fille aussi, encore jeune et toute petite, qu’il fut un temps où les ordinateurs n’existaient pas. Je leur explique que ce temps-là, je l’ai connu. Oui, mes enfants, mes beaux petits-enfants, j’ai vécu dans un monde sans touche ni écrans.

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Et mes enfants de demander: que faisiez-vous sans Wi-Fi, sans iPod, sans chaînes câblées spécialisées, sans vidéo dans l’auto, sans jeux d’ordinateur, sans Internet, sans cinéma 3D ? Je leur réponds que ne me souviens plus très bien. Nous ne faisions rien de spécial; nous faisions beaucoup de vélo en été, cela je le sais, sans masque ni aucune surveillance.

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Je suis un grand-père du temps des mammouths laineux, je suis d’une race lourde et lente, éteinte depuis longtemps. Et c’est miracle que je puisse encore parler la même langue que vous, apercevoir vos beaux yeux écarquillés et vos minois surpris, votre étonnement devant pareilles révélations. Cela a existé, un temps passé où rien ne se passait. Nous avons cheminé quand même à travers nos propres miroirs. Dans notre monde où l’imagerie était faible, l’imaginaire était puissant

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Le rire est un outil, c’est une arme redoutable, une arme à dix tranchants. On peut mourir de rire, tuer quelqu’un en se moquant. L’humour méchant existe, le mot est parfois assassin. Il reste cependant que sous son meilleur jour, il est fondamental, le sens de l’humour. L’échange d’un sourire entre deux inconnus ouvre la porte à ce que nous avons de plus beau. Rire ensemble tisse des liens profonds. Il y a tant de sujets intraitables que seul l’humour peut aborder.

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Puisque rien ne se perd, il suffit de fouiller, de gratter, de creuser, il suffit de se mettre à déterrer les souvenirs, les anciens savoirs, pour savoir qu’une image n’est jamais ancienne quand elle revient à la surface du jour. Elle revient c’est tout, comme si elle avait été là, autant vraie que profonde, familière, vivante.

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Une chose est sûre: mourir nous libère de la mort.

Serge Bouchard dans C’était au temps des mammouths laineux

Une pièce musicale de Roselyne Minassian · Levon Minassian – Si loi, si près