De la douceur

Il n’y a pas de seuil à la douceur, plutôt une continuelle invitation à être contaminée par elle, qui peut se briser en un instant.

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La douceur suffit-elle à guérir ? Elle ne se munit d’aucun pouvoir, d’aucun savoir. L’appréhension de la vulnérabilité d’autrui ne peut se passer pour un sujet de la reconnaissance de sa propre fragilité. Cette acceptation est une force, elle fait de la douceur un degré plus haut, dans la compassion, que le simple soin. Compatir, « souffrir avec », c’est éprouver avec l’autre ce qu’il éprouve, sans y céder.

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La douceur est d’abord une intelligence, de celle qui porte la vie, et la sauve et l’accroît. Parce qu’elle fait preuve d’un rapport au monde qui sublime l’étonnement, la violence possible, la captation, la peur en pur acquiescement, elle peut modifier toute chose et tout être. Elle est une appréhension de la relation à l’autre dont la tendresse est la quintessence.

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La douceur a fait pacte avec la vérité ; elle est une éthique redoutable.

Elle ne peut se trahir, sauf à être falsifiée. La menace de mort même ne peut la contrer.

La douceur est politique. Elle ne plie pas, n’accorde aucun délai, aucune excuse. Elle est un verbe : on fait acte de douceur. Elle s’accorde au présent et inquiète toutes les possibilités de l’humain.

De l’animalité, elle garde l’instinct, de l’enfance l’énigme, de la prière l’apaisement, de la nature, l’imprévisibilité, de la lumière, la lumière.

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La douceur allège la peau, disparaît dans la texture même des choses, de la lumière, du toucher, de l’eau. Elle règne en nous par de minuscules brisures de temps, donne de l’espace, enlève leur poids aux ombres.

Philosophe, romancière, psychanalyste, Anne Dufourmantelle (1964-2017) est l’auteure d’une œuvre importante.

Anne Dufourmantelle dans Puissance de la douceur

Une pièce musicale de Alex Nevsky – De la douceur