Tendresse et troc émotionnel

La tendresse n’est ni à vendre ni à se perdre dans un troc émotionnel

La tendresse, c’est avant tout l’émerveillement d’un regard. Mieux encore, une qualité du regard qui va se développer en contact, en échange et parfois en partage.

La tendresse, c’est aussi une écoute, un sourire et parfois un rire qui surgit en nous bien longtemps après le souvenir.

C’est cette petite fille de trente-cinq ans qui se souvient encore de la voix de son père, depuis longtemps décédé ; son père qui s’écriait chaque fois qu’elle riait : « Oh toi, tu ris comme un mouton ! » Bien des années plus tard, elle s’entendait dire à sa propre petite fille de trois ans : « Toi aussi tu sais, tu ris comme un mouton… »

La tendresse est gratuite. Elle ne suppose pas d’obligation de réciprocité, elle ne s’inscrit ni dans un troc relationnel ni dans un rendu. Ce qui est très important. Car il y a parfois une sorte de terrorisme affectif implicite, quand nous attendons, avec une forme d’exigence cachée, la réponse de l’autre, quand nous attendons que l’autre entende nos demandes sans même que nous les formulions. À partir de cette croyance erronée : « S’il m’aimait vraiment (insister sur le vraiment), comme il le prétend, il répondrait à ma demande… sans même que j’aie à l’exprimer ! »

La tendresse se propose et se vit en dehors de toute contrainte. Elle ne s’inscrit pas dans une relation de pouvoir, parce qu’elle est avant tout abandon et offrande. La tendresse, au fond, est une sorte de bonté à l’état gazeux ou vaporeux. Il y a d’un côté les bontés imprévisibles, qui surgissent dans le lâcher-prise de la confiance ou la générosité de nos possibles (quand ils ne sont pas enfermés dans le rationnel, le logique ou l’explicatif) ; et de l’autre les bontés de vocation, dont je me méfie un peu. Je pense à ces bontés qui ont besoin, pour se faire reconnaître, d’un uniforme, d’une idéologie parfois, d’une croix rouge ou d’une croix blanche. J’ai encore, dans la mémoire de mon corps, le souvenir vivace de ces religieuses qui sévissaient, dans les services hospitaliers ou dans les pensionnats de mon enfance, avec une bonté résolument redoutable, mêlée de volontarisme, de principes et parfois peut-être d’un peu… de sadisme. Cette bonté, cette tendresse dictée, cette tendresse en conserve, je crois que nous les payons trop cher, en culpabilité, en dette et en devoir. Rien n’est plus terrible que la tendresse de circonstance. Je pense ici à ces repas de Noël où l’on a rassemblé toute la famille, venue des quatre coins de France et de Navarre, pour des retrouvailles et des partages que nous avions anticipés comme bons et bienveillants. Il circule parfois, au cours de ces repas dits « familiaux » tellement de tensions, de violences cachées, que même à Pâques, déçus et épuisés, on s’en souvient encore !

Jacques Salomé

Jacques Salomé (1935- ) est psychosociologue et écrivain.

Collectif dans L’avenir est à la tendresse – Sans tendresse nous n’existons pas

Une pièce musicale de Jacques Brel – La tendresse

Les paroles sur https://genius.com/Jacques-brel-la-tendresse-lyrics