25 ans plus tard: Cohérent ou co-errant?

co-errance

Cohérent ou co-errant? Oui, mais pas tout le temps! Incohérent? Non merci!

Comment faire en sorte de créer des liens qui font d’un ensemble de personnes une organisation cohérente?

Introduction

À l’occasion d’un colloque dont la thématique était : À la recherche d’une plus grande cohérence![1], les auteurs ont illustré, par leur vécu, qu’il était souhaitable d’intégrer et d’accepter des éléments de co-errance dans la recherche d’une gestion cohérente.

Dans cet article, nous vous présentons le rationnel qui supporte ce fonctionnement organisationnel où cohérence et co-errance font partie d’un processus de gestion intégré. Pour y parvenir, nous proposons tout d’abord une vision de la cohérence organisationnelle et de son contenu.  Nous poursuivrons en identifiant deux niveaux de cohérence et nous introduirons les éléments de co-errance organisationnels et leur contribution à l’ensemble du processus. Nous terminerons en distinguant le tout d’un mode de gestion incohérent.  La co-errance apparaîtra alors comme un mécanisme de régulation et d’innovation sur le chemin de la cohérence.

 

La cohérence comme facteur de motivation à travailler dans le secteur public

Dans un article récent, Jean Talon[2] s’interrogeait sur les éléments essentiels pour demeurer motivé à travailler dans le secteur public. Sa réflexion allait dans le sens qu’une frustration démobilisante s’installe chez le personnel confronté de façon répétitive à une incohérence manifestée au sein de son organisation. Cette maladie, l’incohérence organisationnelle, puisqu’il faut l’appeler par son nom, a vite fait de paralyser les élans, l’enthousiasme et le dynamisme du personnel.

Il va sans dire que toute organisation, quelle qu’elle soit, cultivant cette propension à l’incohérence s’avère être un milieu propice au développement de ce dangereux cancer qui s’attaque à la motivation intrinsèque du personnel et le démobilise.

Selon Jean Talon, l’antidote réside dans la présence de liens et liants qui font qu’un ensemble de personnes forme une organisation cohérente. Parmi les éléments les plus significatifs et efficaces pour développer cette cohérence organisationnelle, il nous en cite quelques-uns :

  • La volonté de réaliser une mission à l’intention d’une clientèle et d’évaluer les résultats;
  • une vision, une philosophie, un ensemble de valeurs communes;
  • des pratiques, des modes de fonctionnement qui puisent à cette philosophie.

C’est à partir de ces prémices que nous vous proposons une vision de la « cohérence » organisationnelle et de son indissociable compagne, la co-errance.

Un modèle de cohérence : Les trois éléments de la cohérence

Lorsque nous parlons de cohérence, cela implique qu’il y ait plusieurs éléments en cause et qu’un ou des liens logiques les unissent entre eux de façon plutôt harmonieuse.

Sur le plan de la cohérence organisationnelle, les éléments en cause sont :

  • La philosophie;
  • Le discours;
  • Les actions.

Par philosophie, nous entendons tout ce qui réfère à la culture et à la mission de l’organisation. À ce titre, les valeurs et les croyances qui en découlent auront un impact auprès des clients, du personnel ou des autres composantes du système.

Par discours nous faisons référence à ce qui est dit et écrit tant par le personnel que par la direction de l’organisation, au sujet de la philosophie retenue par l’ensemble de l’organisation.

Enfin, par actions, nous faisons référence à l’actualisation des choix, des décisions et des gestes qui sont posés tant pour gérer le quotidien que pour réaliser le projet d’entreprise.  À ce niveau, nous observons ce qui est fait et comment cela a été fait en terme de résultats et de processus.

Les liens entres ces trois éléments (philosophie, discours et actions) doivent être observés à l’intérieur de deux niveaux distincts, horizontal et vertical, mais complémentaire pour parler de cohérence organisationnelle.

Le niveau de cohérence verticale : philosophie, discours et actions

Le premier niveau de cohérence pour une organisation la concerne en tant qu’entité unifiée ou système global.  Celle-ci doit être envisagée de façon verticale.  En effet, les actions de l’organisation doivent être conformes aux discours de ses dirigeants qui eux découlent de la philosophie reconnue.  La consistance logique entre ces trois éléments (philosophie, discours et actions) permet d’illustrer la cohérence organisationnelle verticale.

C’est une vision de l’organisation par rapport à elle-même :

  • ce qu’elle pense,
  • ce quelle dit,
  • et ce qu’elle actualise.

À titre d’exemple, imaginons qu’une organisation véhicule comme croyance et valeur le respect du client, de la personne en demande de service. Cette organisation a produit un code d’éthique et l’a publicisé afin de véhiculer cette croyance ou ce respect.  Afin de s’assurer de la consistance entre cette croyance, les écrits et les actions posées, l’organisation fait périodiquement un retour au niveau du personnel afin de s’interroger sur les gestes posés et les attitudes adoptées. Elle utilise de plus une évaluation objective pour en observer les effets auprès des clients.  Comme on peut le constater, il y a ici un effort pour harmoniser la philosophie, le discours et les actions.

Le niveau de cohérence horizontal : les individus, les sous-systèmes de l’organisation

Le second niveau de cohérence, pour une organisation composée de nombreux sous-systèmes et d’individus, doit être envisagé sous un axe horizontal.

En effet, les différentes parties ou composantes du système doivent partager une philosophie commune, un discours semblable ou poser des actions qui vont dans la même direction pour obtenir le sceau de la cohérence horizontale. Ce sont les individus entre eux, les sous-systèmes de l’organisation les uns par rapport aux autres qui sont ici considérés.

Afin d’illustrer ceci, prenons l’exemple de notre organisation qui a produit un code d’éthique en nous intéressant plus particulièrement à l’élément discours. Pour tout ce qui touche la promotion et l’information concernant ce code d’éthique, le personnel, les partenaires et tous les services seront mobilisés. On s’assure ainsi que de la réceptionniste au personnel clinique, en passant par le syndicat ou le conseil d’administration, tous ont droit au même discours. Le respect du client concerne toutes les composantes de l’organisation.

Vision intégrée des niveaux de cohérence

La synthèse de ces deux niveaux complémentaires (horizontal et vertical) nous permet de dégager une vision globale intégrée de la cohérence organisationnelle.

Afin d’appuyer cette vision intégrée, revenons à notre exemple de l’organisation qui a produit un code d’éthique pour promouvoir le respect de sa clientèle. Pour recevoir le sceau de la cohérence organisationnelle, il faudrait qu’il y ait non seulement une consistance logique entre la croyance et le respect du client, le contenu du texte code d’éthique et la mise en œuvre des gestes posées (rencontres, évaluation, etc.) mais aussi un partage de cette croyance, une diffusion du texte et une implication auprès de chaque membre de l’organisation et des sous-systèmes qui la compose.  On parle de cohérence organisationnelle puisque les énergies sont utilisées pour travailler ensemble.

La co-errance

Le cheminement de l’être humain ou de l’organisation n’est pas toujours aussi linéaire ou cohérent que l’on aimerait qu’il soit. Bien que le chemin le plus court entre deux points soit la ligne droite, nous savons pertinemment que le cheminement de l’individu ou de l’organisation ne se fait pas nécessairement selon cette règle.

C’est un cheminement sinueux qui lie ensemble les différents éléments de la cohérence (philosophie, discours, actions) dans une vision intégrée que nous appelons co-errance.

La co-errance verticale

Tant chez l’individu que dans la vie quotidienne d’une organisation, il peut y avoir des fluctuations et des écarts momentanés entre la philosophie, le discours, les actions. De plus, un geste ou une action isolée peut être une rupture de lien avec ce qui fut dit ou écrit auparavant. Il est possible que le discours s’éloigne momentanément de la philosophie annoncée. C’est ce que nos appellerons la co-errance verticale, du bas (actions) en haut (philosophie).

La co-errance horizontale

De la même manière, nous parlerons d’une co-errance lorsqu’un membre de l’organisation ou un sous-système de celle-ci tient un discours différent de autres, envisage des nuances philosophique ou pose des actions qui ne vont pas dans le même sens que les autres.  Cette fois, la co-errance se situe sur l’axe horizontal entre les individus ou les sous-systèmes.

La co-errance comme un effet de croissance

Cette co-errance individuelle ou organisationnelle nous apparaît comme un phénomène indissociable et même nécessaire à l’atteinte d’un but, à la réalisation d’une mission. Si elle est utilisée, elle représente une occasion de régulariser le processus de cohérence lui-même.  On envisage donc la co-errance comme un effet de croissance, un effort pour sortir des sentiers connus.

Lorsque l’individu ou l’organisation accepte cette vision de son évolution et qu’il ou qu’elle utilise sa co-errance momentanée pour s’interroger et se resituer dans son cheminement, il ou elle est alors sur la voie de la cohérence.

La cohérence ne représente pas un but final à atteindre, mais s’avère plutôt un chemin à parcourir et elle s’accommode très bien du fait que l’on s’en écarte momentanément, puisque ainsi elle nous permet de redéfinir et de réajuster notre tir.

 

L’incohérence

Ce que nous entendons par incohérence, c’est en quelque sorte lorsque les différents éléments qui sont en cause dans une situation donnée, n’ont aucun lien entre eux ou encore, qu’il y a rupture systématique prolongée et inconciliable entre ceux-ci.

L’incohérence verticale

Une incohérence verticale signifie qu’un individu ou un sous-système de l’organisation pose des actions qui n’ont plus aucun rapport avec son discours et sa philosophie.  On peut illustrer cette situation par cette sentence : « c’est beau les principes, mais ils ne doivent pas devenir une contrainte à notre liberté d’actions».

L’incohérence horizontale

L’incohérence horizontale serait que les individus ou les sous-systèmes d’une organisation ne partagent absolument pas la même philosophie, tiennent des discours tout à fait discordants ou posent des actions contradictoires. Souvent dans ce contexte, on assiste alors à une lutte de pouvoir et à des conflits intergroupes.

L’incohérence comme un frein organisationnel

On peut l’imaginer, la multiplication des niveaux d’incohérence horizontale et verticale dans une organisation entraîne de très sérieuses difficultés.

Conclusion

Lorsque l’on coupe des segments, des tranches isolées, qui nous donnent une prise de vue partielle du cheminement d’un individu ou d’une organisation, nous pouvons être tentés de parler d’incohérence devant certains écarts observés.

Toutefois ceux-ci peuvent n’être en fait que des manifestations normales de co-errance (cheminement sinueux) inhérents à l’humain et des opportunités ou des occasions de régulation du processus menant à la cohérence.  Dionne et Ouellet[3] dans leur volume sur la communication parleraient de marge de manœuvre nécessaire.

Une ou des manifestations de co-errance successives, dont nous ne tiendrons pas compte, c’est-à-dire qu’elles ne seraient ni identifiées ou reconnues, ni discutées ou analysées, pourraient conduire à de l’incohérence. Au contraire, l’utilisation de ces co-errances pour rediscuter et réajuster notre cheminement est un processus régulateur de cohérence. Le danger, si danger il y a, ne se situe donc pas dans la présence de co-errance, mais bel et bien dans la négation, le refus, la non utilisation constructive.  Les véhicules de la co-errance ne sont-ils pas les éclaireurs permettant de franchir de nouvelles fonctions?

L’être humain ou le gestionnaire qui se fixerait comme objectif ou qui s’efforcerait d’éliminer toutes traces de manifestation de co-errance afin de prévenir l’avènement potentiel de l’incohérence se mettrait ainsi en position très précaire s’enfermant dans un dynamique asphyxiante.

En effet, sous prétexte d’agir de façon préventive, cet individu ou cette organisation tenterait de nier effectivement une réalité qui existe. La seule façon qu’il aurait d’y parvenir serait de s’interdire à lui-même ou aux membres de l’organisation toute manifestation de co-errance ou apparence de désaccord, d’ambivalence, d’opposition ou de doute quant au modèle officiel véhiculé (philosophie, discours, actions).  Afin de répondre positivement à cette interdiction d’existence, il ne lui reste plus que la négation de ce qui est.  Il s’agit dès lors de ne plus voir, entendre ou ressentir toutes situations, paroles ou sentiments qui ne sont pas en accord avec ce qui fut fixé comme ligne de conduite ou comme modèle.

Si malgré cette interdiction ferme, certaines sources d’informations se permettent tout de même de transmettre un feedback illustrant une co-errance qui ne cadre pas avec la vision ou le modèle privilégié, il serait toujours possible d’en discréditer la source ou le véhicule de transmission. Seule la répression, la crainte ou la culpabilité peuvent maintenir de façon prolongée une apparente solidarité ou une apparente cohérence inébranlable entre la philosophie, le discours et les actions d’une organisation ou entres ses différents corps constituants.

Nier les manifestations de co-errance peut donc mener à l’autocratie. Faire en sorte d’intégrer et d’utiliser la co-errance humaine comme processus de régulation permettra de maintenir une cohérence évolutive et s’aèrera l’antidote le plus efficace, tant à l’incohérence qu’à la cohérence fanatique qui sont toutes deux à proscrire.

[3] Dionne, P, Ouellet, G. La communication interpersonnelle et organisationnelle : l’effet Polo Alto’ Gaétan Morin éditeur, Boucherville, 1990.

[1] Cohérent ou co-errant? Pas tout le temps! Atelier présenté dans le cadre d’un colloque organisé par la Commission des centres de réadaptation, octobre 1990, Rimouski.

[2] Talon, Jean, Comment resté motivé dans le secteur public? ÉNAP, vol 6, no 2, mars avril 1990.

Version de l’article en PDF incluant les tableaux  5.0 Cohérent ou co-errant

Une chanson Ensemble de Jean-Jacques Goldman