Peuple rieur

Mingan. Tout semble si tranquille sur cette plage. Et pourtant le lieu est imprégné de l’esprit des Anciens, il vibre d’histoire. Mais de quelle histoire parle-t-on ? De celle de l’Amérique, supposée avoir débuté en 1492 avec Christophe Colomb ? Nous savons que les Amérindiens existaient bien avant la venue des Européens, qu’ils étaient même des dizaines de millions sur le continent, du cap Horn jusqu’en Alaska, mais qu’en est-il des Innus ? À quand remonte leur présence dans l’arrière-pays du Québec ? Voilà combien de siècles qu’ils se réunissaient tous les étés sur les côtes, combien de générations à peaufiner leur savoir et leur dextérité, à marcher, canoter, trapper dans les bois, à assurer la continuité des grandes familles ? L’archéologie est une bonne amie. Comme toutes les sciences de la mémoire, elle nous accompagne au fond des choses ; elle établit des liens, des séquences, des transformations, elle dessine les contours des ères et des époques et des existences passées. Sans l’archéologie, ce passé basculerait dans la « préhistoire », manière coloniale de dire qu’il serait sans histoire. Car, pour les gens sérieux, l’Histoire commence avec l’écriture. Faux, dit l’archéologie, les objets parlent, les bribes et les morceaux témoignent : le territoire en son entier est un livre ouvert. Des Laurentides au Labrador, et partout dans la vallée du Saint-Laurent, on retrouve les traces d’une très ancienne activité humaine. Pour la seule Côte-Nord, près de mille cinq cents sites archéologiques sont connus, dont la majorité témoignent d’une occupation amérindienne. Cependant, ces fouilles ont été largement concentrées sur le littoral, aussi nous avons peu de connaissance en ce qui a trait à l’intérieur des terres ; cet immense espace conserve à ce jour ses mystères. À mesure que s’ouvrent de nouveaux chantiers, des hypothèses se vérifient, des réalités s’échafaudent, et revivent. »

Serge Bouchard (1947-2021) est un anthropologue, écrivain et animateur de radio québécois. Le livre raconte la très grande marche d’un tout petit peuple, il refait à la fois le chemin de sa joie et son chemin de croix. Présente aux premières lignes du journal de voyage de Champlain, aujourd’hui aussi familière que mystérieuse, la nation innue vit et survit depuis au moins deux mille ans dans cette partie de l’Amérique du Nord qu’elle a nommée dans sa langue Nitassinan : notre terre.

Serge Bouchard dans Le peuple rieur

Une pièce musicale de La Marcelle – Mingan

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