La mélodie des choses

Si nous voulons être des initiés de la vie, nous devons considérer les choses sur deux plans :

D’abord la grande mélodie, à laquelle coopèrent choses et parfums, sensations et passés, crépuscules et nostalgies, – et puis : les voix singulières, qui complètent et parachèvent la plénitude de ce chœur.

Et pour une œuvre d’art cela veut dire : pour créer une image de la vie profonde de l’existence qui n’est pas seulement d’aujourd’hui, mais toujours possible en tout temps, il sera nécessaire de mettre dans un rapport juste et d’équilibrer les deux voix, celle d’une heure marquante et celle d’un groupe de gens qui s’y trouvent.

A cette fin, il faut avoir distingué les deux éléments de la mélodie de la vie dans leur forme primitive ; il faut décortiquer le tumulte grondant de la mer et en extraire le rythme du bruit des vagues, et avoir, de l’embrouillamini de la conversation quotidienne, démêler la ligne vivante qui porte les autres. Il faut disposer côte à côte les couleurs pures pour apprendre à connaître leurs contrastes et leurs affinités.

Man muss das Viele vergessen haben, um des Wichtigen willen.

Il faut avoir oublié le beaucoup, pour l’amour de l’important.

*

Que tu sois environné par le chant d’une lampe ou la voix de la tempête, par le souffle du soir ou le gémissement de la mer, toujours veille derrière toi une vaste mélodie, tissée de mille voix, où de temps à autre seulement ton solo trouve place.

Savoir quand tu dois intervenir dans le chœur, c’est le secret de ta solitude : de même que c’est l’art de la relation véritable : se laisser tomber de la hauteur des mots dans l’unique et commune mélodie.

Rainer Maria Rilke dans Notes sur la mélodie des choses

Une pièce musicale de Zbigniew Preisner – To know

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