Shiawase

Shiawase, ou du bonheur ancien au Japon

La notion de bonheur est présente depuis la plus haute Antiquité au Japon. Deux mots permettent de dire bonheur en japonais : shiawase et kôfuku. Ces deux termes sont en partie formés à partir du même caractère : shiawase et kô-. La langue japonaise se lit ou s’écrit avec une lecture chinoise et une lecture japonaise. Shiawase est une lecture japonaise.

Les Japonais préfèrent dire en japonais la plupart des mots servant à définir des sentiments, la lecture sino-japonaise apportant une forme de distance, d’objectivité. La lecture strictement japonaise possède une forte subjectivité. Le bonheur « version chinoise » est un bonheur collectif, objectif – on pourrait peut-être le quantifier –, tandis que le bonheur version japonaise, shiawase, est plus individuel et subjectif.

Le Japon est un pays à la géographie âpre. Des montagnes, peu de plaines, un climat rude. Des secousses terrestres parmi les plus élevées et les plus fréquentes au monde. Les Japonais sont habitués aux tragédies venues de leur environnement. La nature explique en partie leur rapport au bonheur. Dans un des premiers textes écrits en japonais, le Japon est défini comme « le pays qui chérit l’esprit des mots » (« kotodama no sakiwau3 kuni »), qui peut s’interpréter comme « le pays qui chérit le mot d’esprit ». Les Japonais conservent depuis l’Antiquité ce plaisir des mots. Et contrairement à ce que dit Lacan, qui s’est rendu au Japon, de l’absence d’humour au Japon, s’il y a bien un peuple, grâce à sa langue, qui joue avec les mots, c’est le Japon. Un mot renvoie à dix, vingt, trente qualités et autres signifiants. Il y a un art oratoire, théâtral, au Japon qui valorise ce jeu : le rakugo (littéralement « mot de la chute »). Les Japonais, lorsqu’ils sont ensemble, prennent plaisir à jouer avec les mots.

Jouir du corps

Il n’y a pas au Japon, y compris dans le bouddhisme, voire le shintoïsme ou le confucianisme, le péché de la chair. Bien des interdits occidentaux ne le sont pas au Japon (l’inceste, etc.). Le rapport au corps, aussi longtemps qu’il ne dérange pas l’ordre, est radicalement différent de celui des sociétés occidentales marquées par les religions monothéistes. Au Japon, on dit qu’on naît shinto, qu’on se marie selon le rite bouddhiste et que l’on meurt bouddhiste. En gros, le shinto s’occupe du début de la vie et le bouddhisme de toute la suite. Le shinto est une religion ou un ensemble de croyances très natalistes. Certaines fêtes, dans tout le Japon, sont ouvertement sexuelles, pour une bonne floraison, une bonne récolte… Les deux tiers des fêtes qui de près ou de loin sont shinto et agraires valorisent énormément la procréation, l’acte sexuel, et de manière parfois très explicite. Le grand apport au bouddhisme des Japonais est le zen. Dans le zen japonais, il y a ataraxie : le but est bien d’atteindre le nirvāna par l’ascèse. Un des moyens pour accéder à cette vérité, dans le zen japonais, ce sont les kôan, des questions que posaient les maîtres à leurs disciples, sortes d’énigmes destinées à provoquer quelque chose, un déclic. L’on raconte que certains disciples se creusaient la tête pendant des années sur une énigme, contradictoire, paradoxale, que leur avait posée leur maître. Et un jour ils comprenaient.

La civilisation japonaise a donné naissance à l’idée du jardin secret que tout Japonais, même parfois le plus démuni, aime à respirer. Toutes les passions existent encore au Japon, toutes les curiosités, toutes les bizarreries, on pourrait même dire toutes les perversions, pour tous les goûts, mais bien des Japonais et des Japonaises cultivent des jardins secrets, sans rapport avec leur activité professionnelle… Il me semble que ça a à voir aussi avec le confucianisme revisité par la civilisation japonaise. La notion de satisfaction est également indispensable. Le fait d’être content de ce que l’on a bien fait. C’est le contentement, la satisfaction…

François Durpaire dans Histoire mondiale du bonheur

Une pièece musicale de Kitaro – Koi

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