Le dernier mouvement

Nos premières pensées sont simples, les dernières le sont aussi. C’est dans l’entre-deux que s’installe la confusion.

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Monsieur le directeur, dit le garçon.

-Oui », dit Mahler.

Il avait les yeux mi-clos et écoutait le battement des moteurs.

« C’est quel genre de musique, celle que vous faites ? Vous pourriez m’en parler ?

-Non, on ne peut pas raconter la musique, il n’y a pas de mots pour ça. Dès qu’on peut décrire la musique, c’est qu’elle est mauvaise.

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J’aurais pu composer tant de choses encore. J’ai l’impression d’avoir à peine commencé, et voilà que c’est déjà fini.

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Au demeurant, la plupart des musiciens, voire des gens qui tripotaient un instrument, vivaient dans l’idée qu’eux seuls étaient à même de faire advenir la musique. Ce qui, bien entendu, était, premièrement, l’expression d’une insigne présomption, et deuxièmement, une absurdité caractérisée, la musique dépassant d’emblée, de par sa nature même, tout ce qu’on pouvait imaginer. La musique avait toujours laissé loin derrière elle tout être humain et n’avait, en fin de compte, pas plus besoin de musiciens que d’auditeurs. La musique n’avait besoin de rien ni de personne, elle était là tout simplement.

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La mort elle-même n’était qu’une idée de vivants. Tant qu’on pouvait se l’imaginer, elle n’était pas encore là.

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Soudain un flot de larmes lui vint aux yeux et il sanglota dans ses mains ouvertes. Il pensait aux autres, à leurs visages et à leurs voix et à sa culpabilité.

« J’aurais aimé vivre encore », dit-il à voix haute.

Puis il se sentit ridicule et il eut honte. Là-bas au loin il y a le soleil, se dit-il. Tant que tu peux le voir, la vie continue. Allez, approche-t ‘en, de quelques pas au moins. Lève-toi. Remue-toi. C’est bon pour les os, et ça ne fera pas de mal à ton cœur non plus.

Sur le pont du paquebot qui le ramène en Europe après une ultime saison à New York, Gustav Mahler (1860-1911) laisse dériver ses pensées. Robert Seethaler évoque en peu de mots la puissance d’une pensée : la vision du corps souffrant est ici sans cesse transcendée par la vigueur de l’esprit qui l’habite, conférant à ce texte magnifique une ardente lumière.

Robert Seethaler dans Le dernier mouvement

Une pièce musicale de Mahler – Symphony No 9 Last Movement

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