À Shikoku

Faire de ma vie un voyage ininterrompu.

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Le jour de mon départ, je suis assise, songeuse, sur la marche du temple, les pieds nus sur les planches lisses, savourant cet air humide dans lequel se côtoient fumées d’encens, émanations du bois vernis et fragrances de la nature. La pluie d’été tombe sur Koya-san. Joie simple d’écouter cette douce mélodie. Les gouttes tintent doucement sur l’auvent. Dans cette atmosphère paisible, la brume essaime ses filaments de dentelle ouateuse. Les formes se voilent puis se dévoilent. Les silhouettes des arbres millénaires apparaissent et disparaissent au rythme de cette danse diaphane. Moment de grâce. Un sentiment de plénitude m’envahit. Je suis. Je respire, véritable incantation de louange à la Vie. J’écoute simplement ce qui se vit en moi et autour de moi. Tout se pare d’or.

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L’humilité et l’humain puisent leurs racines étymologiques dans l’humus, la terre, à l’image de cette glaise grasse dans laquelle je peine, patauge et m’enfonce. « Humain, trop humain », dirait Nietzsche. « Glaiseuse, trop glaiseuse », pourrais-je ajouter. Avancer devient un véritable calvaire qui délivre du trop-plein d’assurance et de certitude, flambée brillante qui réduit l’orgueil à l’état de cendres… La matière ne trichant jamais, ne serions-nous finalement vraiment humains que lorsque nous sommes humbles ? La terre est le laboratoire de l’humanisation de soi.

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Friedrich Hölderlin notait superbement : « Il faut habiter poétiquement la terre. » Rilke lui emboîtait le pas en pointant du doigt le pouvoir transfigurateur de notre perception : « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. »

Cela n’est pas un concept abstrait issu des méandres d’esprits lyriques. La poésie est à l’œuvre dans toutes ces choses infimes dont nous ne nous étonnons plus, trop occupés que nous sommes à nous dépêcher de vivre, trop ensommeillés par une routine lancinante ou trop encombrés par les filtres de notre mental.

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En regardant la lune se lever et faire ondoyer sa lumière sur le miroir de l’océan, je repense à la façon traditionnelle japonaise de bénir le repas d’un « itadakimas », les mains jointes inclinées sur la nourriture qui nous est offerte. Bénédiction que je trouve extrêmement touchante. « Itadakimas » signifie en effet littéralement « je reçois » : je reçois les fruits de cette terre, les fruits du travail de l’homme, ce don d’une grande présence à l’œuvre. Gratitude ! Louange et célébration à l’égard de cette aventure qui me comble de tant de merveilles !

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Cet instant éphémère me parle d’éternité.

Marie-Edith Laval (1979- ) est une grande passionnée de voyage et de marche, elle se lance, durant l’été 2013, dans une aventure hors du commun : le pèlerinage de Shikoku, ce légendaire chemin sacré du Japon. 1 200 kilomètres à pied emplis de vie, de fraîcheur, d’émerveillement et d’épreuves.

Marie-Edith Laval dans Comme une feuille de thé à Shikoku

Une pièce musicale de John Walsh – So Long, Shikoku

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