Quand le cœur balance

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Le cœur est la seule destination. On y arrive quand on ne croit plus rien.

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Regardant sa robe déchirée par des semaines de vagabondage, Ryokan dit : « Rien dans ma poche. Tout pour la beauté du vent et de la lumière. J’ai dû faire une erreur dans ma carrière. »

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Dōgen disait que les fleuves et les montagnes sont la voie du cœur.

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Monsieur le forestier, les arbres, chose inhabituelle, se taisaient. Aucun bruit dans la forêt, sinon le poème inlassable d’un ruisseau, sa petite voix claire : « Je disparais quand j’apparais. »

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Quelques pas dehors, un bol de thé vert à la main. Une jeune pluie se mêle à la promenade. Des petits jaillissements de diamants en surface du thé. Je bois une gorgée parfumée à l’eau du ciel. Ton chant soulève les dalles de l’air. J’ai toujours su que quelque chose manquait à la vie. J’ai adoré ce manque. Le printemps rouge des hortensias, le livre bleu des neiges, le miracle de l’arc-en-ciel, les chansons en or de quatre sous, j’accepte que tout disparaisse puisque tout reviendra. J’accepte de tout perdre et que, dans le temps passager de cette perte, le nid d’hirondelle que j’ai dans la poitrine soit vide, vide, vide, féériquement vide et appelant.

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Mon bon Ryokan, je n’ai rien fait de ma vie, rien, juste bâti un nid d’hirondelle sous la poutre du langage.

J’ai interrogé les livres et je leur ai demandé quel était le sens de la vie, mais ils n’ont pas répondu. J’ai frappé aux portes du silence, de la musique et même de la mort, mais personne n’a ouvert. Alors j’ai cessé de demander. J’ai aimé les livres pour ce qu’ils étaient, des blocs de paix, des respirations si lentes qu’on les entend à peine. J’ai aimé le silence, la musique et la mort pour ce qu’ils ouvraient en moi, cette clairière dans mon cerveau, ce trou dans les étoiles, un peu de vide, enfin. J’ai rejoint l’atelier des berceaux.

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L’éveil, je le trouve dans les fleurs. Certaines m’ont sauvé. Elles disposaient de peu de temps pour le faire, mais ce qui nous sauve n’appartient pas au temps. Un éclair dans le ciel bleu.

Christian Bobin dans Un bruit de balançoire

Une pièce musicale de Bill Evans Trio – Peace Piece

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