L’Errant

Je l’ai rencontré à la croisée des chemins, un homme qui n’avait qu’un manteau et un bâton; un voile de chagrin recouvrait son visage. Nous nous sommes salués, et je lui ai dit : « Viens chez moi et sois mon hôte. »

Et il est venu.

Ma femme et mes enfants nous accueillirent sur le seuil, il leur a souri et ils se sont réjouis de sa venue.

Puis nous nous sommes tous assis à table et l’homme les rendait heureux car il y avait une part de silence et de mystère en lui.

Après le souper nous nous sommes rassemblés autour du feu et je l’interrogeai sur ses errances.

Il nous raconta plusieurs histoires cette nuit-là et le jour suivant aussi, mais ce que je chante maintenant est né de l’amertume de ses voyages bien qu’il fût très doux, et ces contes sont faits de la poussière et de la patience de sa route.

Quand il nous quitta au bout de trois jours nous n’avions pas l’impression qu’un invité était parti mais plutôt que l’un de nous était toujours dans le jardin et n’était pas encore rentré.

*

Un homme dit à un autre :

« A la marée haute, il y a longtemps, avec un bout de mon bâton j’écrivis un vers sur le sable ; et les gens s’arrêtent encore pour me lire et font attention à ce que rien ne l’efface ».

Et l’autre homme dit :

« Et moi aussi j’écrivis un vers sur le sable, mais c’était à marée basse, et les vagues de l’immense mer l’ont effacée.

Mais dis-moi qu’avais-tu écrit ? »

Et le premier homme répondit :

« J’avais écrit ceci : « Je suis celui qui est ». Mais toi, qu’avais-tu écrit ? »

Et l’autre homme répondit :

« J’avais écrit ceci : « Je ne suis qu’une goutte de ce grand océan » ».

Khalil Gibran dans L’Errant

Une pièce musicale de Dhafer Youssef Quartet – Les Ondes Orientales

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